L’affaire fait grand bruit depuis une semaine. Le royaume a importé d’Italie 2 500 tonnes de déchets, destinés à alimenter les fours des cimenteries. Ce qui n’est pas sans susciter l’ire des internautes et des associations de défense de l’environnement. « Mobilisons-nous afin d’éviter la combustion de ces déchets et prévenir les conséquences néfastes conduisant à la dégradation des sols agricoles et l’émergence de maladies chroniques et anomalies congénitales permanentes sur la santé des citoyens », met en garde une alarmante pétition, qui a récolté plus de 11 000 signatures en trois jours.
Pointé du doigt, le ministère de l’Environnement a diffusé, le 30 juin, un communiqué pour éteindre la polémique. « L’opération d’importation et la valorisation de ce type de déchets non dangereux est réalisée dans le cadre de la convention de partenariat établie entre (le) ministère et l’association professionnelle des cimentiers », explique le département de Hakima El Haite, qui précise : « le ministère délégué chargé de l’Environnement n’a autorisé l’importation que des déchets type « RDF » qui sont des déchets non dangereux utilisés en tant que combustible de substitution à l’énergie fossile classique ». Une réponse qui ne semble pas avoir convaincu les détracteurs de la convention.
Com’ maladroite
« Les explications du ministère de l’Environnement sont loin d’être rassurantes. Au-delà de la polémique et des 2500 tonnes, c’est l’occasion d’ouvrir le débat sur l’importation des déchets, le principe d’incinération, la convention de Bâle (sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination), qui régit ce domaine, l’analyse des émissions », explique Kamal Lahbib, membre fondateur de la Coalition marocaine pour la justice climatique (CMJC). Pour lui, la communication pêche par son manque de transparence : « Si les normes d’incinération sont respectées, il peut y avoir des avantages, mais qu’on dévoile la convention signée avec les cimentiers et les résultats des analyses. Il y va de la santé des citoyens ». Contactée par Telquel.ma, Hakima Elhaité se dit prête à rendre publiques les analyses effectuées sur les déchets. « On les publiera évidemment, car c’est de la santé des Marocains qu’il s’agit », promet-elle. Expert et directeur des programmes et des réalisations au ministère de l’Environnement, Mehdi Chalabi, qui est chargé de suivre toutes les analyses et de les rendre publiques, se montre rassurant : « Même le fonctionnement des fours des cimentiers est contrôlé 24h/24. »
RDF, un carburant de substitution
« Quand vous êtes sur une com’ défensive, personne ne vous croit », dit Hassan Chouaouta, président de l’Association marocaine des experts en gestion des déchets et en environnement (AMEDE), qui estime lui aussi que la polémique est infondée. C’est que le RDF (Refuse–derived fuel) est un combustible de substitution, une alternative aux combustibles fossiles. Composés de plastique, de carton, de bois et de tissu, triés puis broyés, « ces déchets sont utilisés par les cimenteries du monde entier », argumente notre interlocuteur. Un argument partagé par Hakima Elhaité : « En Allemagne, deux millions de tonnes RDF sont utilisés chaque année. En Europe, vingt millions de tonnes ». Question importation, tout le processus, explique Chouaouta, est conforme à la convention de Bâle, signée par le Maroc en 1995, et à la loi 28-00 relative à la gestion des déchets et à leur élimination. « Le ministère de l’Environnement italien donne son autorisation après avoir analysé la composition des déchets et l’importateur, en l’occurrence les cimentiers, ne les importe qu’une fois le dossier validé par le ministère marocain de l’Environnement. » Origine des déchets, composition, procédé de fabrication, analyse physico-chimique… « Le dossier n’est validé que s’il est conforme à la loi », nous déclare la ministre de l’Environnement. « Ensuite, une fois le produit importé, un échantillon est prélevé par un laboratoire agréé pour vérifier sa conformité avec le dossier initialement déposé », explique le président de l’AMEDE. « C’est une polémique qui n’a pas de sens. La France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie (…) utilisent les RDF. Ce sont des produits non dangereux et il y a une traçabilité de toute la chaîne », explique, de son côté, Mohamed Chaibi, président de l’Association professionnelle des cimentiers – par ailleurs PDG de Ciments du Maroc.
Phase de test
Contrairement à une information largement relayée, la convention n’a pas été signée en 2007, mais en 2015. Sa teneur : importer quelques 4500 tonnes de RDF (et non les pneumatiques déchiquetés que les cimentiers ont toujours importés et importent encore). « Les cimenteries consomment chaque année quelque 1,5 million de tonnes en sources d’énergie. Que représentent 4500 tonnes ? », s’interroge Hassan Chouaouta. Pourquoi alors importer des déchets dans un pays qui en produit des tonnes ? « Au Maroc, il n’existe pas de centre de tri », répond le président de l’APC. « Le but est de développer une expertise au Maroc pour pouvoir mettre en place des centres de tri dans différentes décharges au Maroc pour produire localement des RDF, nettement moins polluants. Il y a d’ailleurs des projets dans ce sens à Casablanca, Rabat, Marrakech et Béni Mellal. » Un passage obligé selon Mehdi Chalabi, directeur des programmes et réalisations au ministère de l’Environnement : « C’est en quelque sorte une manière de huiler la machine en attendant de mettre en place les bases d’une revalorisation de nos déchets. »
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