Quelle mouche a donc piqué le gouvernement mauritanien ? Le 17 juin, les autorités de la République islamique ont signifié leur refus de renouveler le permis de travail de cadres étrangers employés par plusieurs entreprises installées dans le pays. Une douzaine de cadres marocains de l’opérateur téléphonique mauritanien Mauritel, détenu à 51 % par Maroc Telecom, sont concernés et risquent de devoir quitter leur poste. « Dans les conventions signées avec les entreprises étrangères, il est écrit noir sur blanc que tous les expatriés doivent être en règle avec la législation locale. Jusque-là, les exceptions étaient tolérées », explique un journaliste mauritanien. Au Maroc, ce zèle soudain des autorités mauritaniennes a été perçu comme une nouvelle pique, venue s’ajouter à celles de ces derniers mois, et auxquelles Rabat a réagi à chaque fois. « C’est clairement une provocation, mais ça ne mérite pas une réponse de notre part. On ne va tout de même pas en faire une “affaire Ikea” », en rigolerait presque un proche collaborateur du président de Maroc Telecom, Abdeslam Ahizoune.
Même si le gouvernement mauritanien a réitéré ses provocations en dépêchant une délégation de fonctionnaires de son Office de l’emploi dans les locaux de la filiale mauritanienne d’Attijariwafa Bank, les premiers concernés par cette mesure souveraine de la Mauritanie ne sont en fait pas marocains, mais canadiens. Quelque 150 ressortissants du Canada embauchés par Kinross — qui exploite la mine d’or de Tasiast à 250 kilomètres au nord de Nouakchott — risquent de se retrouver en situation illégale. En signe de protestation, la compagnie canadienne a cessé ses activités. Pour un journaliste mauritanien, le Maroc, lui, n’a pas de quoi monter sur ses grands chevaux : « Maroc Telecom n’a qu’une dizaine de cadres à régulariser, ça devrait rentrer dans l’ordre très rapidement ». On ne peut pas en dire autant des relations maroco-mauritaniennes qui, en filigrane, s’enlisent dans une froide traversée du désert.
Frères ennemis
« Peuples frères » prêts à réagir à la moindre incursion de l’ombre du voisin sur ses plates-bandes territoriales, « le Maroc et la Mauritanie peuvent être en froid, mais pas au-delà d’un certain point. Il y a des enjeux politiques, géostratégiques et sécuritaires beaucoup trop importants pour que ça dégénère », tempère un lobbyiste marocain, au fait des relations entre Rabat et Nouakchott. C’est que la filiation Maroc-Mauritanie s’inscrit dans un contexte bien particulier. L’histoire retient que malgré des offensives diplomatiques aux Nations Unies pour faire valoir les revendications historiques du « Grand Maroc » au sud de Lagouira, Mohammed V n’est pas parvenu à empêcher la France d’accorder son indépendance à la République islamique de Mauritanie en 1960. Le Maroc n’a pas pour autant abandonné son influence sur ce million de kilomètres carrés. « Rabat, comme Alger, a son candidat préféré à la présidence mauritanienne. Les renseignements regardent ce qu’il se passe, mais dire qu’ils interviennent serait prendre les films d’espionnage pour une réalité, » assure notre lobbyiste.
« Dans les cercles de pouvoir mauritaniens, on assiste à une montée en puissance du nationalisme, », analyse un journaliste mauritanien. C’est ce nationalisme qui pousserait la Mauritanie à placer les travailleurs étrangers sur un siège éjectable par « une mesure populiste, car les Mauritaniens savent très bien qu’il n’y a pas assez de cadres formés pour reprendre ces postes », poursuit notre source. Pour une autre source proche des cercles de pouvoir, le nationalisme est doublé d’un agacement peu avouable à l’encontre du Maroc : « Autour du président Ould Abdelaziz, il y a une classe affairiste qui a beaucoup d’intérêts au Maroc et qui avait l’habitude de solliciter des largesses. Les Marocains ont dû dire “stop” à un moment. »
C’est lui qui a commencé
Si aucune brouille n’est officiellement reconnue, l’actualité témoigne de relations peu amicales entre les deux pays. « La lune de miel n’a duré qu’un an et demi avec Ould Abdelaziz. La situation s’est rapidement détériorée ensuite », rappelle notre lobbyiste marocain. Deux ans après l’élection de Mohamed Ould Abdelaziz à la présidence suite à son coup d’État en 2009, le correspondant marocain de l’agence MAP, Havidh Elbaghali, est sommé de quitter le territoire mauritanien dans un délai de 24 heures, accusé d’être un agent de la DGED. Depuis, la tension va crescendo. Le poste de l’ambassadeur de Mauritanie à Rabat est d’ailleurs vacant depuis deux ans.
Sans interlocuteur officiel permanent au Maroc pour soigner les relations diplomatiques, la Mauritanie donne l’impression de ne répondre que par la provocation à ce qu’elle pourrait considérer comme des griefs de la part du Maroc. Alors que Mohamed Ould Abdelaziz a présidé l’Union africaine en 2014 et que la lutte contre le terrorisme exige des actions concertées sur le terrain dans le cadre du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad), le président a pu se sentir floué lors des trois dernières tournées africaines de Mohammed VI qui n’a pas fait escale en Mauritanie. Plusieurs médias rapportent d’ailleurs que le président mauritanien n’aurait pas apprécié que le roi du Maroc n’ait pas accepté de le rencontrer en marge du sommet Inde-Afrique à New Delhi, en octobre 2015.
Autre sujet de mésentente, deux des principaux opposants au régime d’Ould Abdelaziz ont trouvé asile au Maroc. Son cousin, et autrefois allié, Ould Bouamatou, gère ses milliards depuis Marrakech, tandis que Moustapha Limam Chafi a installé sa famille à Rabat. Plus récemment, au cours du mois de juin, le ministre mauritanien des Affaires étrangères, Isselkou Ould Ahmed Izidbih, s’est rendu à deux reprises au Maroc muni d’une invitation à remettre à Mohammed VI pour le sommet arabe qui se tiendra à Nouakchott en juillet prochain. Faute d’audience royale, il est reparti avec sa missive. Il a finalement été reçu le 24 juin par le ministre marocain des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar.
Porte vers l’Afrique
Il faut dire que la manœuvre du chef de la diplomatie mauritanienne était hardie. En février, le Maroc avait renoncé à l’organisation du sommet qui devait se tenir en avril à Marrakech, avançant que « les conditions objectives pour garantir le succès d’un sommet arabe, à même de prendre des décisions à la hauteur de la situation et des aspirations des peuples arabes, ne sont pas réunies ». Ignorant cette position, la Mauritanie s’était alors annoncée comme remplaçante au pied levé. Un affront pour le Maroc. Tout comme ce coup de téléphone, relayé par les médias mauritaniens, d’Ould Abdelaziz à feu Mohamed Abdelaziz, chef du Polisario, le jour même où Mohammed VI célébrait le 40e anniversaire de la Marche verte en grande pompe à Laâyoune. Le mois suivant, en septembre 2015, des militaires mauritaniens hissaient leur drapeau dans la commune marocaine de Lagouira. Réaction immédiate du Maroc : le ministre des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar, le général Bouchaïb Arroub, commandant de la zone Sud, et le directeur de la DGED Yassine Mansouri se sont rendus à Nouakchott pour demander des explications à Ould Abdelaziz.
Que cherche Nouakchott ? Difficile à dire pour Rabat, qui n’arrive pas à saisir la raison des dernières décisions de la Mauritanie. « Le pouvoir marocain ne comprend pas ce froid dans les relations alors qu’il a essayé de déminer le terrain. Il n’est pas le seul. Alger, Madrid, tout comme Paris et Washington, ne parviennent pas à lire la stratégie de Nouakchott », explique notre lobbyiste marocain. Outre-Atlantique, on fait carrément comprendre qu’Ould Abdelaziz « a fait son temps ». Des élections présidentielles sont prévues en 2019. D’ici là, le réchauffement pourrait venir des relations économiques. Le Maroc y a intérêt, dans sa stratégie de conquête de l’Afrique. Le port de Nouadhibou est la porte d’entrée maritime du royaume vers le sud. L’homme d’affaires Moncef Belkhayat, notamment, l’a compris en y installant une base logistique de Dislog en 2014, pour la distribution de produits de grande consommation. Un investissement à long terme, le port de Nouadhibou étant « le seul moyen d’accès, avec le port de Dakar, pour couvrir le marché malien, qui représente pour nous 20 millions de personnes », détaille-t-il, en appelant de ses vœux un accord de libre-échange.
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