Yakov Rabkin, professeur au Département d’histoire à l’Université de Montréal, est né en 1945 en Russie. Chimiste, juif religieux, historien, il est, entre autres, l’auteur de Au nom de la Torah : Une histoire de l’opposition juive au sionisme et Comprendre l’état d’Israël : Idéologie, religion et société. Le premier est aujourd’hui traduit dans une douzaine de langues et a, bien sûr, déclenché de vives polémiques. Militant, il participe aussi à des activités de rapprochement interreligieux entre juifs et musulmans. L’Association Solidarité Maroc – Palestine l’a invité à Rabat et Casablanca (il sera le mercredi 18 mai à 18 h à la Bibliothèque nationale de Royaume du Maroc et le lendemain à la librairie Livremoi). En amont, TelQuel a posé quelques questions à ce connaisseur, très critique, de l’histoire du sionisme, d’Israël et de leur opposition.
Quel est le rapport historique des juifs du Maroc au sionisme ?
Les juifs d’origine marocaine et leurs descendants font partie d’un ensemble plus large des juifs non-européens. Et il faut rappeler que l’activisme sioniste était pourtant plutôt négligeable dans les pays musulmans. En août 1939, les juifs des pays à majorité musulmane fournissaient 0,38 % des membres enregistrés du mouvement sioniste, comparé à 40,9 % pour ceux venant de l’Europe de l’Est. Au Maroc, les premiers sionistes qui propagent la nouvelle doctrine chez les indigènes sont, comme presque partout ailleurs, d’origine russe. Cela illustre le caractère est-européen du sionisme, qui constitue un sérieux obstacle à l’intégration des juifs arabes en Israël. On remarque que le départ des juifs marocains vers Israël n’a presque jamais reflété un réel engagement idéologique pour le sionisme, ni pour cet État construit par et pour les ressortissants d’Europe de l’Est. Rappelons que le plan de partage de la Palestine formulé par la Commission Peel en 1937 provoque une réaction négative au Maroc, où des notables juifs et des musulmans écrivent une lettre de protestation au Foreign Office à Londres.
La droite dure israélienne semble se tourner aujourd’hui vers le religieux. Pourquoi ?
La droite doit justifier son désir de coloniser la Palestine en entier. Puisque les fondateurs de l’État étaient ouvertement athées ou agnostiques, leur prétention d’occuper la Palestine se résumait en une absurdité qu’un collègue israélien a ainsi décrite, de manière sarcastique : « Dieu n’existe pas, et il nous a promis cette terre ». La droite actuelle, elle, a découvert la valeur mobilisatrice de la religion, surtout dans sa forme hybride de national-judaïsme, appelée «dati leumi» en hébreu. Aujourd’hui, certains Marocains d’ailleurs se sont ralliés au parti ultrareligieux Shass, fondé afin d’inculquer la fierté d’être juif «oriental» et de retourner à la pratique traditionnelle du judaïsme.
Quel est l’écho de l’opposition juive religieuse au sionisme aujourd’hui ?
Il est révélateur que l’éditeur israélien a donné à la version hébraïque de mon livre sur l’opposition juive au sionisme le sous-titre «Une histoire de lutte continue». En effet, à la veille de sa présentation en Israël des centaines de milliers de «haredim» (juifs ultra-orthodoxes) protestaient à Jérusalem contre le service militaire obligatoire. Le rejet du projet sioniste par les juifs n’est pas que de l’histoire. Beaucoup de jeunes juifs, surtout aux États-Unis, s’opposent non seulement à la violence de l’État sioniste mais au principe même d’un État réservé aux juifs du monde, qui est l’idée fondatrice du sionisme.
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