Un enfant attrape la paire de ciseaux avec laquelle sa mère découpe méticuleusement un sac plastique pour le transformer en un grand ruban. Il veut imiter sa maman pendant que celle-ci transforme la bande de plastique en une pelote. Dans le modeste salon d’une petite ferme biologique située dans les terres, à une dizaine de kilomètres du centre de Dar Bouazza, une dizaine de femmes se sont rassemblées pour parler de leur projet commun, dont le but est de transformer des sacs en plastique en cabas et autres objets durables.
Pendant que l’assemblée discute, Daouia, assise dans son coin, crochète ses pelotes de plastiques et nous avoue en riant : «C’est comme la cigarette, une fois qu’on a commencé on ne peut plus s’arrêter. On est toujours à l’affût des sacs quand on marche dans la rue.» Cette initiative a changé le quotidien des familles, les mères apprennent à leurs filles à tricoter le plastique et les petits garçons s’empressent de ramener la matière première qui traîne dans les rues. Après son travail, Daouia passe 3 à 4 heures à confectionner des sacs et des porte-monnaie. Au fil de la discussion, la longue lamelle de plastique se tresse sous les doigts agiles de la femme maniant le crochet. Il faut une quinzaine de jours et une soixantaine de sacs en plastique pour confectionner un cabas de taille moyenne.
Une demi-année après le lancement du projet, 37 femmes sont devenues des artisanes des sacs en plastique. Pour bon nombre d’entre elles, il a fallu apprendre à tricoter afin de redonner vie à ces morceaux de plastique. Dans les douars bordant Dar Bouazza, le bouche-à-oreille a très vite jouer son rôle. L’envie de gagner un peu d’argent en travaillant après les tâches quotidiennes, et le souci des préserver l’environnement les ont motivés à se lancer dans l’aventure. «Les gens ont oublié les sacs traditionnels en osier; ils font leur courses, reçoivent des sacs et les jettent ensuite. Il y a beaucoup de créativité chez ces femmes et une envie de travailler parce qu’elles se tournaient souvent les pouces pendant la journée» nous enseigne Bouchaid Harris, membre de Dar B’na et mari d’une des artisanes.
Ondine Loloum, présidente de Dar B’na est, depuis longtemps, active dans le milieu environnemental. Cette française, arrivée à Casablanca en 2005, ne pouvait plus tolérer les vagues de sacs en plastique qui déferlent incessamment dans les champs et le long des plages. Casablanca est la capitale économique du Maroc, elle est aussi le royaume du sac plastique. «Ce problème me préoccupait depuis longtemps. Un jour j’ai découvert un projet au Burkina Faso où des femmes tissaient des sacs en plastique. J’ai voulu reproduire cette initiative environnementale, sociale et même féministe» explique Ondine. Elle a donc rassemblé des personnes pour créer Dar B’na, une association opérant à Dar Bouazza pour la prévention de son environnement et de son “patrimoine immatériel”. Ils ont voulu créer cette structure pour permettre de recycler ces sacs en plastique et en même temps améliorer les conditions des femmes en milieu rural. C’est ainsi que le projet a vu le jour en juillet 2015.
Dar B’na espère dans un futur proche pouvoir assurer un petit revenu fixe à ses artisanes, mais elles doivent encore régler le plus gros problème, la distribution. En effet, la vente des produits est irrégulière car l’association ne dispose pas de suffisamment de points de vente. Leur clientèle est pour l’instant liée au réseau de la ferme biologique qui assure toujours un point de vente lors de ces événements. Ce problème de distribution limite le nombre de femmes qui peuvent participer aux projets car la production est déjà trop importante par rapport à la demande. À raison d’une centaine de dirhams par sac et d’un vente irrégulière, cette activité permet aux femmes d’arrondir leurs fins de mois. Cette initiative leur permet néanmoins une petite indépendance financière. «On a plus besoin de demander de l’argent à nos maris si l’on veut aller au Hammam ou faire des dépenses personnels. Et c’est pour cela qu’il nous encourage à continuer cette activité» explique l’une des artisanes.
«Notre second problème est assez ironique, on manque de matière première pour la confection de ces sacs.» explique Ondine Loloum, présidente de l’association. Pour y remédier, d’autres projets ont été lancés comme la création d’un système de tri sélectif à Dar Bouazza, en collaboration avec les ramasseurs informels (chiffonniers) et avec l’implication des enfants des écoles, ou encore l’organisation d’événements pour nettoyer les plages. Une chose est sûre à Dar Bouazza quand il s’agit d’environnement, les femmes semblent avoir plus d’un tour dans leurs sacs.
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