«Qui voyez-vous Chef du prochain gouvernement ?». À cette question, posée par les enquêteurs du baromètre TelQuel-Tizi-Averty, publié le 16 avril sur Telquel.ma, les sondés ont répondu comme suit : Abdelilah Benkirane (44,9%), Ilyass Elomari (15,3%) et… Nabila Mounib (8,3%). Tous les autres prétendants au poste arrivent loin derrière, à l’image du patron du parti de la colombe Salaheddine Mezouar (4,8%). Si la présence d’Ilyass Elomari, challenger poids lourd du patron des islamistes —quoique distancé— n’est pas une surprise, celle de Mounib, seule femme chef de parti politique au Maroc à ce jour, l’est sans doute. Elle est secrétaire générale d’un petit parti de gauche, le Parti socialiste unifié (PSU), qui n’a même pas participé aux élections législatives de 2011 et qui a, à cause de sa taille modeste, peu d’accès aux médias publics. A-t-elle bénéficié de l’aura diplomatique acquise lors de son voyage en Suède, pour défendre l’intégrité territoriale du Maroc ? Récolte-t-elle les fruits de sa politique d’opposition ? Ou est-ce encore le vent de fraîcheur qu’elle a apporté aux milieux très idéologisés de la gauche ? Il serait hasardeux de répondre, mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a bien un “effet Mounib”. TelQuel s’était entretenu avec la patronne du PSU en octobre 2015, et lui a posé peu ou prou la même question : Et si vous deveniez chef du gouvernement ?
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Nabila Mounib sourit quand on évoque avec elle le scénario de son élection à la tête du gouvernement. Elle accepte de jouer le jeu en répondant à nos questions, afin de nous aider à saisir sa personnalité et son programme politique. Le chemin de la primature semble loin, voire inatteignable, pour la seule femme chef de parti, qui n’a pas, pour le moment, un poids arithmétique suffisant pour espérer briguer ce poste. La secrétaire générale du PSU (Parti socialiste unifié) est propulsée au-devant de la scène en se rendant en mission officielle en Suède afin d’y défendre la position marocaine sur le Sahara. Une casquette de missi dominici plutôt inédite pour celle qui a fait ses classes dans la très contestataire OADP (Organisation de l’action démocratique populaire), ancêtre de l’actuel PSU. De quoi déstabiliser son propre camp, à commencer par les militants du PSU qui y voient un fricotage avec le Makhzen, et même ses alliés au sein de la Fédération de gauche démocratique (FGD). Abdelali Benameur, secrétaire général du Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste (PADS), a pour sa part décliné la mission, refusant de “sauver les meubles” (sic).
Une attitude d’ouverture saluée dans d’autres milieux en revanche, notamment chez des observateurs qu’on ne peut pas taxer de sympathie avec les positions très ancrées à gauche de la FGD. Ainsi, le journaliste Ahmed Charaï a qualifié Mounib d’ “époustouflante”. “La dame, droite dans ses bottes, défendait une certaine idée du Maroc et elle l’a fait avec le brio qu’on lui connaît, tout en martelant ses propres convictions”, a-t-il expliqué.
Le projet de société avant le poste
Durant les élections, Nabila Mounib marque aussi son monde par une campagne pour les communales qui réussit avec peu de moyens à faire du bruit, notamment sur les réseaux sociaux. Si la chef du PSU est battue à Casablanca, la chance sourit à son camarade, Omar Balafrej, dont la liste est élue sous les couleurs de la FGD, qui regroupe trois formations politiques dont le PSU. Malgré cette défaite, l’effet Mounib fait mouche. “La Fédération a un leader charismatique, Nabila Mounib, qui devrait être, à mon sens, la future Chef de gouvernement. Il n’y a pas beaucoup de meneurs qui ont la carrure, la maturité et l’âge nécessaires à l’exercice d’une telle fonction”, assure Omar Balafrej à nos confrères d’Illi dans la foulée de son élection. Mais la principale concernée rêve-t-elle d’être un jour Chef de gouvernement? “Je suis d’abord une militante, j’étais la première étonnée quand j’ai été élue à la tête du PSU”, nous répond-elle, assurant que l’important est de se “battre pour un projet de société” porté par un front de partis de gauche autonome et cohérent.
Pour la secrétaire générale du PSU, la primature paraît donc bien loin. Pour autant, elle n’insulte pas l’avenir: “Je pourrais l’être bien sûr si le peuple marocain le désire et s’il y a un éveil de la gauche”. Pour celle dont le parti avait activement soutenu le Mouvement du 20-Février, le “projet de société” et “l’autonomie” dans la prise de décision prévalent sur les postes. Elle martèle souvent qu’il faut une “véritable monarchie parlementaire”, condition sine qua non, selon elle, pour prendre éventuellement la tête de l’Exécutif. D’ailleurs, précise-t-elle clairement lors de l’entrevue: “Si vous supposez que je suis Chef de gouvernement, cela veut dire que j’ai le pouvoir de décider et que les conditions sont réunies”. Sa relation avec la monarchie, elle l’entend basée sur le “respect” de cette institution et dans le cadre de la “séparation des pouvoirs ”.
Parité totale
Pour la “pasionaria apprivoisée”, comme ont titré nos confrères de Maroc Hebdo qui lui ont consacré leur couverture, l’actuelle coalition gouvernementale dirigée par les islamistes “fait la même chose que les Exécutifs qui l’ont précédée et les problèmes urgents sont éternellement retardés”. Pourtant, l’actuel Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, avait salué la performance aux élections de certains candidats FGD, prophétisant “que le parti de Mounib va émerger à l’avenir”. Quid donc d’une alliance avec les islamistes? “Si vous avez le respect de vos adversaires politiques, c’est que vous êtes vraiment crédible”, rétorque Nabila Mounib, qui veut toutefois marquer sa différence avec le projet de société porté par les Pjdistes. “C’est très clair pour nous, il faut aller vers une société véritablement démocratique et moderne et pas simplement moderne de l’extérieur, traditionnelle et archaïque de l’intérieur”, explique-t-elle, déclinant ainsi la base de son programme idéologique.
Si elle devient Chef de gouvernement, Nabila Mounib compte ne s’allier qu’avec les partis qui partagent son référentiel, et rêve d’une vaste alliance de tous les partis de gauche. Sa première promesse est aussi de désigner un gouvernement parfaitement paritaire. “Moitié hommes, moitié femmes, sans hésitation”, lance-t-elle. Une évidence pour celle qui veut aussi en finir avec la politique de “bak sahbi” (Ton père est mon ami, en écho au népotisme) en plaçant la “méritocratie”comme principal crédo. Mounib veut que chacun de ses ministres s’entoure des meilleurs experts sélectionnés sur la base de ce critère et en s’appuyant aussi sur les compétences de Marocains résidant à l’étranger.
Une politique d’alphabétisation à la cubaine
Elle décrit son projet comme “solidaire” et comme “une réforme des institutions, de la justice, des administrations et des écoles pour former les compétences”. Une fois à la tête de l’Exécutif, elle espère mettre en place des lois anti-corruption sévères pour amputer la “gangrène de la corruption”. Pour consacrer l’éveil citoyen auquel elle aspire, elle propose d’engager une lutte sans merci contre l’analphabétisme, en créant un ministère dédié. “A Cuba, il y avait un taux d’analphabétisme de 23%, Fidel Castro a dit que ce n’était pas possible (…) Il a demandé qu’un effort national soit fait: que les médecins alphabétisent les brancardiers et que les écoles restent ouvertes les week-ends. En huit mois, il n’y avait plus d’analphabètes!”, martèle-t-elle.
Passer à l’offensive
La politique étrangère n’est pas en reste. Nabila Mounib espère mettre en chantier son idée d’un “ministère du Sahara”. A défaut, elle propose “au moins un think tank et des relais”, avec des historiens, des économistes et des juristes qui travaillent ensemble et assurent un suivi de chaque instant. “Il ne faut plus qu’on soit dans l’étonnement, mais être dans l’offensive avec une cellule qui communique avec le monde de manière permanente”, estime-t-elle.
Sur le plan économique, elle entend renégocier les Accords de libre-échange et la gestion déléguée “qui ne profitent pas au Maroc”, selon elle. Une politique très à gauche qui prend ses distances avec le capitalisme, seule manière de garantir la souveraineté. “Les courants qui ont émergé en Tunisie ont échoué parce qu’ils n’avaient pas de modèle économique. Ils pensaient qu’en suivant le modèle néo-libéral et en priant le FMI et la Banque Mondiale de leur prêter un peu plus de sous, ils allaient s’en sortir. Ce n’est pas du tout le cas”, tonne-t-elle. Mounib propose aussi de renforcer le partenariat Sud-Sud et d’ “expérimenter le partage équitable”. Elle plaide aussi pour un programme national de reboisement, et de faire de la gestion de l’eau une priorité nationale.
Son mandat, Nabila Mounib l’entend ouvert sur son environnement et engagé dans le “compromis, mais pas la compromission”. Elle trace cependant une ligne rouge: pas question d’ordonner une intervention musclée contre des“manifestants pacifiques”. “Bien sûr qu’un État fort doit maintenir le respect des institutions et l’intégrité physique de ses citoyens, mais il ne faut pas confondre maintien de l’ordre avec l’approche sécuritaire et le non-respect des droits”, estime-t-elle, appelant à “en finir avec les humiliations”. Mais pourrait-elle tenir toutes ses promesses face aux réalités de l’exercice du pouvoir ? Cela reste une autre histoire.
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