Les vidéos de violence, d’agressions et de tabassages se multiplient et gagnent rapidement un énorme écho grâce au réseaux sociaux. De l’affaire des homosexuels de Béni Mellal, en passant par le phénomène de « tcharmil », les motivations des agresseurs et de ceux qui relayent les images ne sont pas identiques, mais il y a un point commun : les images sont reprises à très grand échelle et ont engendré un sentiment d’insécurité.
En juillet 2015, dans la région de Midelt, une véritable scène de lynchage a été filmée et postée sur les réseaux sociaux. Ce jour-là, deux voleurs, pris en flagrant délit, on été violemment tabassés par une foule déchaînée. L’une des victimes a succombé à ses blessures peu après son transfert à l’hôpital. Quelques jours plus tard, alors qu’il approchait de la gare de Fès, un train de voyageurs a été attaqué par plusieurs individus armés de sabres. Une vidéo, largement relayée sur les réseaux sociaux, montre les voyageurs en état de choc. A Tanger, plusieurs hommes ont été filmés en train d’agresser une femme qui marche sur la corniche, l’été dernier.
Plus récemment, deux vidéos ont choqué l’opinion publique : celle des deux homosexuels agressés à Béni Mellal et d’une voyante conspuée à Salé. Ces exemples, parmi tant d’autres, témoignent de la violence urbaine qui continue de sévir au Maroc. L’écho particulier qui s’est produit suite à ces affaires est lié directement au fait que ces actes aient été filmés et diffusés sur les réseaux sociaux. Selon le sociologue spécialisé dans les pratiques culturelles au sein de l’Université Mohammed VI de Rabat, Jean Zaganiaris, «les réseaux sociaux ont rendu visibles des actes de violences qui sont loin d’être inédits.» «Il suffit d’entendre les témoignages oraux de personnes parlant des années 1980 ou 1990 et de lire les coupures de presse relatant les faits divers ou bien d’autres archives du passé pour se rendre compte que la violence fait partie du quotidien de toute société.» explique-t-il.
La réalité en spectacle
Si les actes sont désormais filmés, photographiés et rendus publics, qu’est-ce qui explique l’attrait du public vers ces contenus violents ? Pour Abderrahim Bourkia, chercheur associé à l’Observatoire de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS) à Aix-en-Provence, les événements violents trouvent une place de choix dans nos écrans car elles ont «toutes les caractéristiques de “spectacularisation” et répondent aux exigences du spectacle : potentiel émotionnel, esthétisme, choc d’images et sensationnalisme.» Et d’expliquer que l’avènement des outils de communication comme les réseaux sociaux a «favorisé» une forte visibilité des actes de violence. «Quoi qu’il en soit, les images de la violence contribuent à la voir comme plus fréquente, voire même normal et acceptable », résume le chercheur.
La violence attire la violence
En constatant la prolifération de telles vidéos, une autre question se pose : Est-ce que certains agresseurs se convainquent de passer à l’acte grâce à l’effet médiatique que peut avoir une vidéo de ce genre ? « On dit toujours que la violence attire la violence.» explique Abderrahim Bourkia. «Certains travaux expérimentaux établissent une corrélation entre observation de la violence et agression. Les théories de la “désinihibition” donne par exemple une lecture au phénomène de filmer et d’immortaliser les actes de violence et d’agression», indique le chercheur en expliquant qu’en se désinhibant, l’individu est plus à même pratiquer la violence. «C’est tout à fait le même “modus operandi” des terroristes qui filment des scènes de décapitation. Des spectacles morbides qui offrent des pensées agressives et des stimuli négatifs à celui qui les reçoit. »
De son côté, Jean Zaganiaris nuance quelque peu : «Ce n’est pas parce qu’on va regarder des vidéos pornos que l’on va se mettre à violer toutes les femmes qui passent», explique-t-il. Pour ce spécialiste, les conditions sociales qui rendent possible le passage à l’acte sont multiples : Il y a des cas de personnes qui vont adhérer à ces images de violence et penser qu’il faut en faire de même. Le phénomène “Tcharmil”, en référence à ces jeunes qui posent au milieu d’arme blanche et publient ces images sur les réseaux sociaux, illustre en cela cette catégorie de personnes. Il s’agit de ces adeptes de la violence, principalement des jeunes hommes, qui mêlent le culte du bling-bling à l’apologie de la violence. «Il y a ensuite les personnes qui vont adhérer à ces images de violence et rester passivement dans leur fauteuil, sans jamais passer à l’acte. Il y a ceux vont rejeter ces actes de violences.» conclut-il.
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Sentiment d’insécurité en hausse mais chiffres de l’insécurité en baisse
En attendant, les populations s’inquiètent. Fin juillet 2015, une pétition réclamant un renforcement de la sécurité, notamment dans les grandes villes du nord du royaume, a recueilli plus de 10 000 signatures. Les pétitionnaires demandaient la mise en place d’un « nouveau dispositif de sécurité actif sur la durée afin de maintenir une surveillance permanente des sites les plus fréquentés, à savoir, les plages publiques et les grandes artères des villes côtières à l’image de Tanger. » Mais alors insécurité, ou sentiment d’insécurité? Le 24 novembre 2015, le ministre de l’Intérieur, Mohamed Hassad, affirmait que le taux de criminalité au Maroc était en baisse continue, lors d’une session de questions orales à la Chambre des représentants. Selon le ministre «tous les indicateurs de la criminalité sont en baisse et les meurtres ont diminué de 4%». Les services de sécurité enregistrent une moyenne de «un meurtre par jour», assurait-il en citant l’exemple de Fès qui «a connu des interventions policières qui se sont soldées par l’arrestation de plus de 3 000 criminels.»
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«Ne pas tomber dans la paranoïa»
Pour Jean Zaganiaris, il y a de la violence dans toute société et «le Maroc ne fait pas exception.» Lui veille à ne pas tomber dans la «paranoïa» liée à la large diffusion de contenus vidéos violents. D’un point de vue judiciaire, un avocat nous a confié que l’effet de vidéos ou photos circulant sur les réseaux sociaux et reprises par les médias «peut avoir forcément un effet sur la décision d’un juge.» «Ce dernier pourrait être, sans le vouloir, influencé par l’opinion publique. Mais le travail d’un juge se repose avant tout sur les faits. Une vidéo diffusée sur Internet, qui a pu être retouchée ou trafiquée, n’est pas un élément fiable», rappelle le spécialiste. Une telle vidéo «n’a pour effet que de bousculer l’opinion publique.» Chose plutôt réussie.
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