Le patron de l’Istiqlal nous reçoit au siège de son parti dans le quartier chic de Hay Riad à Rabat. Entre deux réunions, cet homme pressé répond aux questions de TelQuel en sirotant un thé à la menthe. Combatif comme à son habitude, il nous expose sa lecture des tensions internes à sa formation politique, ses pronostics pour les prochaines législatives, sans tout dévoiler de ses intentions ni de ses alliances. Usant autant du “nous” que de la troisième personne du singulier pour parler de lui, il avance une seule certitude: l’Istiqlal remportera le prochain scrutin. Et Hamid Chabat se voit déjà en haut de l’affiche.
Après votre défaite aux communales, l’Istiqlal a connu un séisme organisationnel. Certains ont même demandé votre démission. Quelle est la situation actuelle?
D’abord, il n’y a pas eu de séisme organisationnel à l’Istiqlal. Notre parti, l’un des plus anciens du Maroc, a retenu les leçons de la scission de 1959. L’intérêt de la patrie et du parti priment sur les individus. Le 16e congrès (en 2012) a ouvert la voie à la réorganisation de notre démocratie interne. C’était nécessaire, après quatorze années consécutives au gouvernement, la vague de changement qui a balayé notre région, puis la nouvelle Constitution.
Votre ancien rival, Abdelouahed El Fassi, a transformé son courant “Bila Hawada” (Sans Répit) en association. D’anciens ministres vous contestent ouvertement depuis des mois. Niez-vous ces tensions?
Tout ça est franchement exagéré par les médias. Quant à l’association “Bila Hawada”, j’ai rencontré le frère Abdelouahed El Fassi, et en moins de cinq minutes, nous avons réglé tous les problèmes et les malentendus. “Bila Hawada” travaille de l’intérieur du parti et non de l’extérieur. Preuve en est le meeting du 11 janvier dernier, lors duquel nous avons acté la réconciliation entre tous les Istiqlaliens, en présence de nos leaders historiques. La vigueur qui s’exprime à l’Istiqlal s’explique par l’amour que lui vouons, ainsi qu’à son histoire, sa stature et son identité.
Pourquoi d’anciens ministres, comme Yasmina Baddou, Taoufik Hejira et Karim Ghellab, boycottent-ils les réunions du comité exécutif du parti?
Les positions des uns et des autres doivent, à mon avis, s’exprimer à travers les institutions du parti. Cela dit, leur présence n’est pas nécessaire pour des réunions qui peuvent être ordinaires. Ce qui est primordial, et cela vaut pour tous les responsables du parti, c’est le travail dans les circonscriptions. Nous devons préparer au mieux le scrutin du 7 octobre.
Justement, comment envisagez-vous les législatives à venir?
Je m’attends à une rude concurrence. Toutefois, l’Istiqlal regorge de compétences et d’expériences. Je suis convaincu que notre démocratie interne, notre organisation ainsi que notre présence quotidienne sur le terrain nous donneront la première place aux élections du 7 octobre prochain.
Vous paraissez sûr de la victoire. Vous l’étiez aussi à la veille des communales de 2015, quand vous avez perdu à Fès…
Nous avons beaucoup appris des dernières communales, et aussi des élections de la deuxième chambre. Mais l’Istiqlal est prêt pour la prochaine bataille. Nous avons organisé des dizaines de réunions pour mobiliser nos cadres et préparer notre programme électoral, qui vient des bases, au lieu de faire appel à des bureaux d’études étrangers. D’ailleurs, nous le présenterons bientôt. Il est conçu par des Marocains pour des Marocains. La priorité y est donnée au logement, à la santé, à la crise de l’éducation, à la lutte contre l’analphabétisme, à l’emploi et à la mise en œuvre de la régionalisation.
Serez-vous personnellement candidat aux législatives? Si oui, comptez-vous devenir le prochain Chef du gouvernement?
Le dépôt de candidatures est clos depuis fin février. Si nous arrivons en tête des élections, pourquoi Hamid Chabat ne serait-il pas Chef du gouvernement?
Serez-vous candidat à un deuxième mandat à la tête de l’Istiqlal?
Évidemment.
Dans ce cas, cumuleriez-vous ce mandat avec votre mandat de secrétaire général du parti?
Si l’Istiqlal arrive en tête, je ne vais pas nécessairement rester secrétaire général. Dans le parti, nous avons tranché cette question. Le cumul n’est pas possible entre les fonctions de chef de gouvernement et secrétaire général. Je suis personnellement opposé à l’appartenance au comité exécutif du parti pour les ministres. C’est fatigant et cela rejaillit sur l’une au moins des deux fonctions. D’un autre côté, une autre personne peut très bien devenir Chef de gouvernement: cette question n’est pas un problème à l’Istiqlal.
Vous n’êtes ni dans la majorité ni dans l’opposition. Vous sentez-vous plus proche du PJD ou du PAM?
Nous sommes un parti ancien, dont tous les suivants se sont inspirés. Notre référentiel islamique nous rapproche du PJD. Ou plutôt, c’est le PJD qui se rapproche de nous, nous sommes les vrais musulmans. Nos leaders historiques sont des lauréats d’Al Qaraouiyine, des représentants de l’islam marocain authentique. Par ailleurs, nous sommes prêts à nous allier à tous, mais sur la base des idées et des programmes du parti, pour ne pas répéter l’expérience du gouvernement Benkirane. L’Istiqlal est le plus grand parti démocrate, moderniste et progressiste au Maroc. Vous évoquiez notre retour à l’opposition, c’était juste le repos du guerrier. Dans le parti, nous sommes convaincus que nous devons être présents dans le prochain gouvernement et, pourquoi pas, le diriger.
Vous n’évoquez pas la Koutla, votre alliance historique avec l’USFP et le PPS. Pensez-vous que la Koutla est morte?
Qui vous a dit que la Koutla est morte? Et qui l’aurait tuée? Le vrai problème est que cette alliance ne surgit qu’à la veille des élections, puis disparaît après la proclamation des résultats. Pour ne pas être déclarée morte par les uns et les autres, la Koutla doit se libérer de certains calculs étroits. L’USFP et le PPS sont des alliés naturels et essentiels, des contacts sont d’ailleurs en cours afin que la Koutla serve les intérêts du peuple et de la patrie.
Vous avez récemment proposé de fixer le seuil électoral à 10%. Certains partis ont dénoncé une surenchère et une tentative d’exclusion. Votre réponse?
C’est une proposition personnelle que j’ai partagée avec Abdelilah Benkirane, afin de combattre la balkanisation et pour dégager une majorité stable et une opposition forte. Les autres partis ont leurs propres calculs que je ne partage pas, même si je peux les comprendre.
La situation sociale dans le pays est tendue. Votre centrale syndicale (UGTM) appelle à la grève générale. Pourtant, vous portez une part de responsabilité dans cette situation, votre parti ayant gouverné de 1998 à 2013…
Au contraire, la situation sociale s’est dégradée d’une façon alarmante avec ce gouvernement dirigé par le PJD. La réforme de la Caisse de compensation et celle annoncée pour les retraites s’apparentent à une grande fitna. Si on y ajoute la répression des enseignants-stagiaires et le blackout médiatique sur la grève générale conduite par les grandes centrales syndicales, le tableau est explosif. Malheureusement, le gouvernement actuel ne veut rien entendre.
Le secrétaire général du syndicat de la presse, Abdellah Bekkali, qui est député et membre du comité exécutif de votre parti, est poursuivi pour diffamation. Qu’en pensez-vous?
Depuis les dernières élections, notre parti est visé et nos militants sont traînés dans la boue. Mais l’Istiqlal est un parti résistant, fort. La poursuite du frère Bekkali ne fait que fortifier nos convictions.
Qui en veut à l’Istiqlal? Le ministère de l’Intérieur?
Bien sûr. Comment expliquez-vous la diffusion par la télévision publique des noms des militants accusés de fraude électorale, sinon dans le but de les diffamer? On soutient et appuie Bekkali. Qu’ils nous arrêtent tous!
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer