Y a-t-il un terrorisme marocain en Europe ?

Les terroristes les plus médiatisés de ces derniers mois sont d'origine marocaine. Faut-il y voir un hasard ou un symptôme ? Trois chercheurs nous ont répondu.

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Crédit : HO, Federal police / Amimour family DABIQ POLICE NATIONALE BELGA OFF / AFP

« Chez certains Rifains, la guerre en Syrie, l’avènement de Daech et la proclamation de son « État islamique » a fonctionné comme un appel. Ça les a fait rêver : ils revivaient l’éphémère république du Rif de leurs ancêtres », écrit Pierre Vermeren, professeur d’histoire du monde arabo-berbère contemporain à l’université Panthéon-Sorbonne, à Ouest-France, dans une publication du 22 mars. L’homme part du postulat suivant : la misère et l’isolement des Rifains en rapprocheraient certains du terrorisme international : « Ce milieu habitué à brasser de l’argent, à trouver des planques et des armes (pour la culture du kif, ndlr), de Gibraltar à Amsterdam en passant par Paris ou Bruxelles, était prédisposé à nicher des cellules terroristes. » Parmi les attentats les plus meurtriers d’Europe revendiqués par des groupes islamistes, ceux de Madrid, de Paris et de Bruxelles impliquaient des hommes et des femmes d’origine marocaine.

En Espagne, plus d’une dizaine de ressortissants marocains sont impliqués dans l’attentat de 2004, dont Jamal Zougam et Othman El Gnaoui, cerveaux présumés de l’attaque de la gare de Madrid-Atocha. Les kamikazes du Stade de France et les tireurs des terrasses parisiennes du 13 novembre 2015 possèdent la nationalité marocaine. Le 22 mars suivant, 32 personnes perdent la vie à Bruxelles dans des explosions à l’aéroport et dans une station de métro. Les trois auteurs ? D’origine marocaine. « Mais non, ce sont des Européens ! », rectifie Abdellatif Adebibe, président de la Confédération des associations de Sanhaja du Rif, collectif associatif du Rif central . « Ce sont des enfants de France et de Belgique, pas du Rif (les frères Abdeslam, notamment, seraient originaire du Rif, selon les informations parues dans la presse, ndlr). Ils sont le produit de la politique européenne qui n’a pas su éduquer et intégrer ses jeunes. »

« C’est mathématique »

Parmi les intellectuels à qui nous avons posé la question « Pourquoi la plupart des terroristes des récents attentats sont d’origine marocaine ? », pas de théorie ethnique qui tienne. Et une répugnance naturelle pour les « raccourcis ». « J’ai du mal avec la thèse de la communautarisation, s’ils étaient ‘communautaristes’, ils ressembleraient à leurs parents ou à leurs grands-parents. Ils sont dans l’hyperindividualisme, en rupture avec la société à laquelle ils reprochent beaucoup », nous explique Mohammed-Ali Adraoui, chercheur à l’université internationale de Singapour et auteur du livre Le salafisme, du Golfe aux banlieues (2013). Pour Mohammed Tozy, directeur de l’école de gouvernance et d’économie de Rabat, tout est question de statistiques. « Il faut voir quelle est la proportion de Marocains en France et en Belgique, c’est tout. C’est mathématique. », nous fait-il remarquer.

En 2014, les Marocains « d’origine » représentaient 3,9% du total de la population belge, selon l’étude du Centre fédéral migration de Belgique, relayé par le quotidien La Libre Belgique. Côté français, aucun recensement comparable n’a été réalisé. En 2011, L’Économiste publie le nombre d’immatriculations aux services consulaires marocains dans le monde, d’après les chiffres du ministère chargé des Marocains résidents à l’étranger (MRE). A relativiser – tous ne s’enregistrent aux consulats des pays dans lesquels ils résident – l’article fait état de plus d’1,3 million de MRE en France, soit environ 2% de la population globale française. « En France, nous avons un certain nombre de personnes issues de l’immigration algérienne qui ont commis des actes terroristes ; prenez les frères Kouachi, Mohammed Merah ou Khaled Kelkal. Est-ce qu’on peut parler d’une prédisposition algérienne à la violence ? Non, c’est une surreprésentation statistique. En Belgique ou aux Pays-Bas, c’est plutôt les Marocains », explicite Adraoui.

Pas de portrait robot du terroriste

Concernant le nombre de Marocains qui rejoignent les rangs de Daech, même relativisation numéraire du côté de Nabil Mouline, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et auteur du Califat, histoire politique de l’islam (2016) : « Proportionnellement à la population, les Marocains ne partent pas plus que les résidents d’autres pays en Syrie. Dans l’absolu, des pays comme la Belgique ou la Tunisie ‘envoient’ plus leurs ressortissants que le Maroc».

Si nos experts s’accordent pour exclure toute prédisposition ethnique, ils s’entendent aussi sur la complexité des raisons qui poussent un individu à commettre un attentat ou à rejoindre les rangs de Daech. « Le terrorisme est un millefeuille très compliqué à démêler, avec plusieurs strates typiques : les petites mains, qui commettent les attentats et dont les motivations sont difficiles à dessiner : problèmes identitaires, d’intégration, frustrations, recherche d’aventure, raisons sociopolitiques, etc. Les intermédiaires, opérationnels et sans scrupule. Et enfin les chefs, animés par des projets politico-religieux, voire messianiques », explique Nabil Mouline. Peu de choses en commun, à une exception près.

Politique d’intégration défaillante

« Quel mot revient à chaque fois qu’il y a un attentat terroriste ? », interroge Adraoui, professeur en sciences politiques à l’Institut du Moyen-Orient de l’université international de Singapour. « Ce n’est pas ‘islam’, ‘salafiste’, ‘djihadiste’ ou ‘musulman’, c’est le mot ‘jeune’. L’appartenance générationnelle et la rupture avec son milieu traditionnel est le facteur principal du passage au terrorisme », explique-t-il. La moyenne d’âge des auteurs des attentats du 13 novembre ? 26 ans. Comme au sein du groupe des auteurs des attentats de Bruxelles.

Pour le reste des explications, « il faut aller plus loin, faire des recherches », prévient Tozy. Le 25 mars dernier, le think tank américain Brookings a révélé que le taux de radicalisation le plus important se trouvait dans les pays francophones. « Qu’est-ce que la langue de l’amour pourrait bien avoir à voir avec la violence islamiste ? Nous suspectons qu’il s’agisse de la culture politique française », suggère l’étude. Chômage des jeunes, approche « véhémente » à la laïcité et forte urbanisation – il y a plus d’« opportunités de rencontrer des personnes radicalisées » dans les grandes villes – sont les conditions qui rendraient le radicalisme sunnite « séduisant », conclut le think tank.

 

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