C’est dans les quartiers du bord de mer d’Abidjan, Treichville, Adjamé, Plateau ou Yopougon, que l’on retrouve la majorité des Marocains installés en Côte d’Ivoire. Ils sont au nombre de 4000, d’après l’ambassade du royaume à Yamoussoukro. Depuis juillet 2015, ils sont réunis au sein de l’Association des Marocains résidant en Côte d’Ivoire, l’AMRECI. Mais à Abidjan, il y a aussi les Marocains de passage. Un groupe d’hommes d’affaires habitués de la navette entre Casablanca et la capitale économique ivoirienne. La Royal Air Maroc relie d’ailleurs quotidiennement, en 4 heures 30 de vol, les aéroports Mohammed V et Félix Houphouët Boigny. En costume et accrochés à leur smartphone, ces décideurs au sein de grands groupes marocains installés dans le pays se croisent dans les salons premium avant l’embarquement ou dans les lobbies d’hôtels comme le Sofitel Ivoire, situé à deux pas du boulevard… Hassan II.
Prise de conscience
« Historiquement, il y a toujours eu quelques commerçants marocains de passage en Côte d’Ivoire. Les premières installations de Marocains remontent aux années 1940-1950, mais c’est vraiment depuis la fin de la guerre civile et l’arrivée d’Alassane Ouattara (2011, ndlr) que les relations économiques Maroc-Côte d’Ivoire se sont amplifiées », nous explique le consultant marocain d’un cabinet de conseil international auquel le gouvernement ivoirien fait appel. Cet engouement est d’ailleurs si récent que l’ambassade marocaine et la Chambre de commerce marocaine en Côte d’Ivoire (CCMCI) n’ont pas encore fini d’établir la liste exhaustive des entreprises présentes sur place. C’est que Mohammed VI a effectué trois visites officielles en trois ans, à chaque fois accompagné d’une suite de patrons marocains. Ces hommes d’affaires, autant de candidats à l’investissement, découvrent « un pays qui a beaucoup de ressemblances avec le Maroc, notamment par sa vocation agricole », explique Karim Amor, PDG du groupe Jet, qui officie dans la fabrication de matériaux de construction en Côte d’Ivoire depuis la visite du roi en février 2014. Lors d’un de ses premiers séjours à Abidjan, il se souvient d’avoir été réveillé, à 5 heures du matin, par les embouteillages du boulevard Valéry Giscard d’Estaing. « C’étaient des gens qui allaient au travail. Je me suis dit: “Voilà des gens qui ont compris l’importance de la valeur travail. Voici un pays où il faut être” », témoigne-t-il.
La porte à côté
Pour une entreprise marocaine, s’installer en Côte d’Ivoire, c’est aussi préparer son développement vers le reste de l’Afrique francophone. « Même si la Côte d’Ivoire a un taux de croissance intéressant (8% en 2015, ndlr), le marché ivoirien n’est pas gigantesque. En revanche, c’est le lieu de développement idéal pour la sous-région. Les pays voisins enclavés sont d’ailleurs desservis par le port d’Abidjan », analyse Karim Tazi, président du groupe Richbond, qui, après avoir annoncé la construction d’une usine en Côte d’Ivoire, n’exclut pas d’y installer le siège de ses activités africaines. La voie pour l’installation d’unités industrielles aux capitaux marocains a été pavée par les grands groupes marocains, et notamment les banques. « Pour faire des affaires, pouvoir compter sur place sur des banques que l’on connaît et qui nous connaissent, c’est essentiel », reconnaît Karim Tazi. Et il semble d’ailleurs que les banques marocaines aient réussi à relever un double défi: celui d’accompagner leurs clients marocains tout en s’intégrant à l’économie locale. Attijariwafa avec la Société ivoirienne de banque (SIB), le Groupe Banque Populaire avec la Banque Atlantique de Côte d’Ivoire et BMCE avec Bank of Africa (BOA), ayant racheté des structures existantes qu’elles gèrent avec un taux relativement faible de cadres marocains, sont considérées comme des banques locales. Les assurances marocaines sont aussi présentes. Fin 2010, Saham a ainsi racheté le leader de l’assurance en Afrique de l’Ouest, Colina, basé à Abidjan. La présence marocaine, c’est encore Label’Vie qui rachète un réseau de supermarchés, Afriquia avec des stations essence, Maroc Telecom qui a décroché une licence 4G pour son opérateur local Moov, Addoha qui reprend les projets immobiliers avortés d’Alliances…
Les freins que l’on connaît
« Avant, il s’agissait surtout des promoteurs immobiliers, des banques et des télécommunications, mais aujourd’hui, il y a aussi des PME, et la logique ne concerne plus seulement les grands groupes », déclarait à Telquel.ma en janvier 2015 Fadel Agoumi, directeur délégué de la Confédération générale des entreprises marocaines (CGEM). Mais, pour le consultant marocain d’un cabinet international, « ramener les PME reste en réalité le grand défi. Leurs produits pourraient vraiment trouver leur place, même avec une faible compétitivité, car il y a encore beaucoup à faire, notamment en matière d’alimentaire et d’agroalimentaire. Mais il faut d’abord les aider en matière de logistique ». Les PME se retrouvent aussi confrontées à la bureaucratie ivoirienne. L’environnement des affaires dans le pays s’est certes amélioré depuis la création en 2012 du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (CEPICI), mais les hommes d’affaires marocains interrogés s’accordent à dire que la bureaucratie reste le principal frein à l’investissement, « comme au Maroc finalement ». Ils parlent d’une « dichotomie de l’administration ivoirienne, avec d’une part une haute administration de qualité, mais une moyenne et petite administrations souvent très corrompues ».
Gare au colon
L’administration ivoirienne, en retour, se plaint de l’arrogance de certains investisseurs marocains. Dans un pays où les grosses affaires sont souvent tenues par des Libanais (près de 130 000 Libanais recensés) et des Français (13 000 résidents en Côte d’Ivoire), les Marocains pourraient bien faire la différence en refusant d’adopter le comportement de l’investisseur étranger qui allonge les devises sans s’associer au développement du pays. Celui-là même qu’ils honnissent au Maroc. « Ceux qui réussissent, ce sont ceux qui s’installent », témoigne un consultant marocain présent en Afrique de l’Ouest depuis une quinzaine d’années. « La clé pour réussir c’est de faire preuve d’une certaine humilité, de passer par les bonnes voies et de faire les choses dans les normes », abonde Saad Hamzaoui, président de la Chambre de commerce marocaine en Côte d’Ivoire fondée en 2013.
Réussir en Côte d’Ivoire, c’est la garantie de pouvoir profiter le week-end de la très prisée presqu’île d’Assinie, à une heure et demie de route des quartiers d’affaires. Car la pollution de la Baie de Cocody ne lui fait plus mériter le surnom de « paradis d’Abidjan ». Mais là encore, les Marocains viennent à la rescousse. Le 22 mars, en marge du CEO Africa Forum qui se tenait dans la capitale ivoirienne -en présence de nombreux Marocains dont deux ministres-, Marchica Med inaugurait sa succursale en Côte d’Ivoire. L’agence d’État marocaine se charge du projet de sauvegarde et de valorisation de la Baie de Cocody. Un marché de 1,64 milliard de dirhams.
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