Hajib père et fils, des prisonniers témoins de leurs époques

Mohamed Hajib est accusé d'activités terroristes. Son principal soutien depuis cinq ans, c'est son père, qui lui aussi a fait de la prison en son temps, pour son activisme à l'extrême-gauche. Une histoire de famille qui embrasse notre histoire contemporaine.

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Mohamed Hajib (banderole) et son père, Hamadi. Crédit: DR

C’est l’histoire d’un père et de son fils. Le premier, Hamadi, né en 1953, a été enfermé « un an trois mois et trois jours« , entre 1976 et 1977. Le deuxième, Mohamed, né en 1981, est aujourd’hui détenu à la prison de Tiflet, incarcéré depuis 2010. Le premier a été arrêté pour son militantisme à l’extrême-gauche, le deuxième parce qu’il est accusé d’activités jihadistes. Les parcours du père et du fils Hajib semblent être le miroir de tendances de fonds dans la société marocaine.

Le marxiste et le tablighi

Hamadi Hajib est un ancien militant du parti marxiste-léniniste Ilal Amam et de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM), professeur d’arabe à la retraite. Lorsqu’on lui demande de parler de son fils aîné, il éclaire d’emblée : « Jamais je n’ai poussé mon fils à suivre telle ou telle tendance politique ou syndicale, j’étais et je resterai un démocrate respectueux des choix personnels« . Et de parler de Mohamed comme d’un « meilleur ami« , assurant que les différences de points de vue entre eux lui apparaissent « au fond comme de petites divergences« .

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Hamadi Hajib. Crédit : DR

Hajib fils pourtant, semble bien éloigné de la dialectique marxiste. Il serait tablighi. Ce que confirme un membre des coordinations de prisonniers salafistes : « Mohamed Hajib n’est pas salafiste, il suit la Jammaa Tabligh« , un mouvement religieux fondamentaliste de prédication pacifique, particulièrement actif en Inde et au Pakistan. « Mon fils était une sorte d’islamiste modéré, pratiquant ses prières quotidiennement et avec sagesse, et sortant parfois avec ses « frères » apprendre aux gens comment pratiquer l’islam » détaille Hajib père.

Mohamed Hajib, qui a obtenu la nationalité allemande au cours de ses études d’économie, est détenu depuis le 18 février 2010. Ce jour là, il est arrêté à l’aéroport de Casablanca, de retour d’un voyage au Pakistan et écope dans la foulée d’une peine de dix ans de prison, accusé entre autres de « financement du terrorisme ». Depuis, il s’est illustré entre autre par sa participation au mouvement de contestation dans la prison de Salé en 2011. Cette année là, il fait partie de ces prisonniers qui se regroupent sur le toit du pénitencier et affrontent une journée durant les forces de l’ordre, sans oublier de se filmer pour mettre en ligne des vidéos de leur action. Son cas a suscité de nombreuses prises de position, parmi lesquelles celle du Groupe de Travail sur la détention arbitraire de l’ONU qui a émis en 2012 un avis favorable à sa remise en liberté immédiate.

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Crédit: DR

L’arrestation de son fils, Hamadi Hajib l’a apprise via l’ambassade d’Allemagne, alors qu’il ne savait même pas que son fils avait entrepris un voyage en Asie. Lui aussi se souvient du jour où il a été emmené, « le 13 février 1976, à 21 heures« , alors qu’il menait une énième grève. Il se remémore sans peine : « les pleurs de ma soeur qui se mêlent aux ronflements du moteur de la Fiat dans laquelle on me pousse« .

D’une répression l’autre

Aujourd’hui, Hamadi Hajib, l’ancien prisonnier de gauche, dédie sa vie au sort de son fils. Lorsque ce dernier se lance dans une grève de la faim, il le suit et cesse de se nourrir plusieurs jours durant. Régulièrement, il manifeste devant la prison. Il s’est rapproché de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) et connaît quelques membres des associations de détenus salafistes, qui ne semblent pas étonnés, de leur côté, de son passé de militant de gauche. Son fils, nous dit-il, « a grandi mais n’a pas foncièrement changé. Il reste pacifiste et pieux. » Ce qui n’empêche pas jusqu’à ses défenseurs de s’inquiéter pour le jeune homme. L’ONG Al Karama ne cachait pas, en 2012 déjà, que le détenu était gagné par une crise d’hystérie lors d’une visite familiale.

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La famille Hajib (à g. Mohamed)

En prison, les détenus dits « salafistes », soupçonnés d’activités ou de sympathies jihadistes à l’instar de Mohamed, ont remplacé les militants de gauche comme Hamadi, au fur et à mesure des transformations politique et de société, entre mue de l’opposition et lutte globale contre le terrorisme. Des militants islamistes demandent d’ailleurs aujourd’hui l’ouverture d’un processus semblable à l’Instance équité et réconciliation (IER), crée en 2004 dans le but de rendre justice aux détenus des années de plomb, pour la plupart des activistes gauchistes. « Je pense que la demande d’une réconciliation entre l’État et ces détenus allant au-delà des grâces ponctuelles est raisonnable. Mais les prisonniers salafistes ont du mal à recueillir le soutien de la gauche dans leur requête » remarque Hassan Alaoui Elhasni, ancien détenu islamiste des années de plomb qui a fréquenté dans ce cadre des membres de la gauche.

Mais chez les Hajib, c’est une autre histoire : c’est une histoire de famille.

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