Le vide laissé par les oulémas officiels, le soutien important des pays du Golfe… Tout cela contribue a la montée des populismes islamistes que Mountassir Hamadai décrypte dans cette interview.
Telquel.ma : Un certain nombre de prédicateurs (Nahari, Raissouni, Abou Naim…) sont des stars sur internet. Leurs vidéos et leurs écrits sont suivis par des milliers de personnes. Comment expliquez-vous leur succès ?
Mountassir Hamada : Cette présence très remarquée s’explique par l’enchevêtrement de beaucoup de facteurs. Tout d’abord, la matrice idéologico-politique de ces prédicateurs : il s’agit pour l’essentiel d’entre eux de prédicateurs qui appartiennent ou sont proches de la mouvance frériste ou salafiste. L’autre facteur est le populisme de certains de ces prédicateurs, on évoque là surtout le cas de Abdellah Nahari. On doit aussi parler du poids et du soutien très imposant de quelques pays du Golfe, soit via le soutien médiatique ou le soutien idéologique. La majeure partie des journalistes et chercheurs marocains au Qatar sont tous simplement membres du courant frériste.
Les propos de ces prédicateurs sont parfois très menaçants envers certaines personnalités de la politique, de la culture ou des médias, allant jusqu’à excommunier certains d’entre eux. D’où tirent-ils leur légitimité pour affirmer de telles choses? Et quels sont les risques de tels discours?
Ils n’ont justement aucune légitimité sauf s’il s’agit de cette matrice idéologique qui prône l’islamisme : c’est-à-dire l’islamisation des musulmans (appelée le «Tamkine» chez les frères musulmans à titre d’exemple). Cette présence est également due au vide qu’ont laissé les oulémas des institutions religieuses, et aussi le vide juridique, vu que notre constitution et nos lois observent un silence assourdissant à l’encontre de l’excommunication.
La plupart de ces prêcheurs entretiennent une haine féroce à l’encontre du chiisme. Pourquoi ?
C’est plutôt logique, puisqu’ils se nourrissent du discours salafiste pur et dur, ou de l’épistémè salafiste, comme on l’a bien détaillé dans notre livre qui a comme titre «le Wahhabisme au Maroc» publié en 2012. Le salafisme qu’on évoque ici est partout, que ce soit chez les mouvements salafistes, ou chez la mouvance frériste ou même dans quelques institutions religieuses. Cela n’implique pas que les Marocains soient hostiles au chiisme, au contraire, sauf que cette hostilité est plutôt discrète tant que le courant chiite est loin des regards, mais avec ces prédicateurs, le sentiment anti-chiite risque de prendre de l’ampleur. Ces prédicateurs jouent en quelque sorte le rôle des clercs du Moyen-âge.
A la radio, certaines émissions religieuses appellent franchement à la haine du chiite, ou du laïc (qu’ils traitent volontiers d’athée). Est-ce normal que de tels propos soient proférés sur les ondes? En quoi ces propos peuvent-ils conditionner la manière de penser de la société ?
Il faut préciser d’abord que ce discours qui appelle franchement à la haine du chiite, ou du laïc, reste minoritaire chez la majeure partie des Marocains, et notamment dans les médias, à part les organes de presse et les supports médiatiques qui appartiennent aux frères musulmans et aux salafistes bien sûr.
Il faut souligner aussi que les médias officiels évitent d’une manière ou d’une autre d’évoquer ce genre de débats, pour ne pas «parasiter» l’environnement religieux, ou le «champ religieux» qui subit toute sorte d’influences idéologiques, venues surtout de l’Orient, qui n’ont rien à voir avec notre islam marocain. Un islam qui ne se résume pas en un programme politique destiné à islamiser «l’autre» en vue de le dominer par le Coran.
Il est plausible que ces propos conditionnent la manière de penser de la population, et pour s’opposer à ce discours, il faut s’opposer à ces projets. Le Maroc paye d’une manière ou d’une autre, l’autre face de ce «laxisme religieux » qui a été pratiquée durant des décennies pour des raisons politiques et sécuritaires.
Que doit faire l’État pour mettre un terme ou du moins contrecarrer ce discours ?
C’est une «maladie de l’Islam», comme stipulait le défunt islamologue Abdelwahab Meddeb, et comme chaque maladie, il faut d’abord l’admettre pour la soigner. Ensuite, on procède à la thérapie. C’est ce que la Maroc a entamé depuis fin 2002, et nous ne sommes qu’au début de la guérison, puisqu’il s’agit d’un long et épineux parcours.
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