L’orphelinat d’Ain Chock n’est plus qu’un champ de ruines désolé. Lundi 7 mars, à l’aube, une soixantaine de pensionnaires ont eu la fâcheuse surprise de se réveiller sous les cris des forces de l’ordre. Chassés manu militari du lieu, ils assistent, médusés, à la démolition d’un bâtiment qui leur sert d’abri depuis une dizaine d’années. « Une décision de justice, approuvant l’évacuation du bâtiment, a été rendue en juin 2015 », nous apprend une source autorisée à la wilaya. La partie plaignante n’est d’autre que l’association qui gère l’orphelinat, l’Association Nour pour la protection sociale Anfa-Aïn Chok – ex-Association musulmane de bienfaisance. Parmi les raisons avancées : « Le bâtiment menaçait ruine », résume une source autorisée à la Wilaya de Casablanca, non sans préciser que les pensionnaires ont bien été prévenus. La commune d’Ain Chock avait approuvé la destruction de la bâtisse en juin 2014, soit un an après l’homologation du nouveau plan d’aménagement qui prévoit de transformer l’espace ainsi « libéré » en centre social. Mais ce n’est pas l’unique raison qui préside à la destruction de cette maison de bienfaisance, qui a défrayé la chronique en 2005 lors d’une visite-surprise de Mohammed VI. « Les pensionnaires sont âgés de 18 à 45 ans. Ce ne sont pas donc plus des orphelins qu’il faut prendre en charge », explique une source proche de l’association. Selon un document de l’association Nour, dont nous détenons une copie, un recensement fait état d’une population de 149 pensionnaires, mais seuls 67 y sont installés réellement. Contacté par Telquel.ma, Abdelmalek Lak’hili, président de l’arrondissement d’Ain Chock nous déclare que« L’arrondissement n’a aucun rôle dans cette affaire ».
Et maintenant ?
« C’est inhumain. Ils nous ont réveillés en défonçant les portes vers 4 heures et demie du matin. Ils veulent construire un complexe social. Soit. Mais pourquoi nous humilier et nous priver de nos droits les plus basiques ? » dénonce Fouad Mamoun, membre d’un collectif qui milite pour les droits des pensionnaires d’Ain Chock. Lui-même « délogé », l’homme de 36 ans réclame « un relogement ». Réclamation refusée par l’association. Mais chaque pensionnaire s’est vu offrir une aide de 9 000 dirhams. « Comment peut-on se débrouiller avec 9 000 dirhams ? On se fout de notre gueule », crie Mamoun Fouad, qui affirme avoir refusé la proposition. Sans toit, sans moyens de subsistance, certains pensionnaires ont été reçus au centre d’accueil de Tit Mellil, une commune dans la banlieue de la métropole. « Une cellule va étudier leurs dossiers au cas par cas. Ils vont être accompagnés pour une insertion professionnelle », nous confie notre source à la Wilaya, précisant que « l’affaire est en grande partie réglée ». Mais Mamoun ne l’entend pas de cette oreille : « Nous avons fait appel du jugement. Ce n’est pas en déplaçant quelques-uns d’entre nous à Tit Mellil que l’affaire sera réglée. »
L’histoire d’un scandale
A l’origine de l’affaire, une visite inopinée de Mohammed VI à l’orphelinat en avril 2005. Le roi découvre un établissement insalubre où s’entassent des dizaines de jeunes dans des conditions révoltantes. S’ensuit une enquête qui mènera à la dissolution de l’Association musulmane de bienfaisance alors en charge de l’orphelinat – remplacée depuis par l’association Nour – et à l’emprisonnement de plusieurs de ses responsables. Les pensionnaires âgés de moins de 18 ans sont alors transférés à l’orphelinat du quartier Hay Hassani ou au centre de Sidi Othmane. Les autres, plus âgés, se sont vu offrir une « hiba » royale de 30 000 dirhams pour les inciter à quitter le lieu. Un document de l’association indique ainsi que Mohammed VI, à l’issue de sa visite en 2005, a fait don de 5 millions de dirhams pour régler la situation des pensionnaires. « Certains ont accepté les 30 000 dirhams, d’autres réclamaient davantage. Une autre partie a reçu des triporteurs et des aides financières pour les aider à se prendre en charge. Ils quittaient ainsi l’établissement, avant de revenir s’y installer à nouveau. Cela n’avait plus rien d’un orphelinat », raconte une source proche de l’association Nour. Le même document précise qu’une dizaine de pensionnaires ont bénéficié d’une insertion professionnelle en intégrant les rangs des forces de l’ordre ou des forces auxiliaires. Mais l’affaire est loin d’être réglée.
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