« Starve your dog », et si Driss Basri n’était pas mort en 2007 ?

Dans Starve your dog, Hicham Lasri fait revivre Driss Basri. L’ancien bras droit d’Hassan II est passé au crible de l’interview dans un film qui est aussi une démonstration de force du langage cinématographique de son réalisateur.

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FICTION. Dans un Maroc contemporain, Driss Basri (Benaissa El Jirari), ancien ministre de l’Intérieur de Hassan II, fait profil bas durant les quinze ans qui suivent son limogeage par le pouvoir. Des années d’errance et de silence dans les rues de Casablanca, entre sa fille démente et l’armoire à glace qui lui sert de garde du corps. Mais l’ancien symbole des années de plomb se décide enfin à parler et à livrer ses confidences à une journaliste (Latefa Ahrrare). Au travers des réactions très théâtrales de l’équipe chargée de filmer les révélations de Driss Basri et un langage cinématographique d’une rare densité, Starve your dog revient sur une période douloureuse de l’histoire, « où le simple fait de prononcer le nom de Basri faisait peur aux enfants, » se souvient son réalisateur Hicham Lasri.

Diffusion restreinte

Sélectionné au Festival international du film de Toronto en 2015, hors compétition au 17e Festival national du film de Tanger, la diffusion de Starve your dog au Maroc reste confidentielle. Trois ont eu lieu à Casablanca et Rabat du 25 au 27 février, organisée par l’Association des rencontres méditerranéennes du cinéma et des droits de l’Homme (ARMCDH). Aux spectateurs présents lors d’une quatrième projection à la Cinémathèque de Tanger le 27 février, le réalisateur explique qu’il a conscience de « presser là où ça fait mal ». « Ceux qui comme moi ont grandi dans les années 80 ont toujours entendu que tout allait bien, qu’on construisait des barrages, des mosquées, des écoles, etc. On n’a jamais entendu parler des mauvaises choses. Avec ce film, je voulais revenir sur ce dont on n’entendait pas parler, avec les moyens du cinéma », explique-t-il.

La diffusion restreinte du film n’est pas pour autant liée à une quelconque censure. « Le CCM me connaît maintenant, ils savent dans quel terrain j’évolue, donc ils ne se méfient pas de moi plus que ça. De toute façon, ce ne sont pas l’indignation et le premier degré de dénonciation qui m’intéressent », détaille Hicham Lasri. Si peu de monde verra le film au Maroc, c’est sans doute que le film est exigeant.

« Le cinéma ne sert pas uniquement à faire plaisir »

« Ça ne s’adresse pas à tout le monde », reconnaît lui-même le réalisateur qui confie aussi avoir pensé les 20 premières minutes du film comme une manière de faire « une sélection naturelle parmi les spectateurs. » « Ceux qui restent sont ceux qui sont capables d’apprécier le voyage, parce qu’ils vont comprendre le sens de cette première partie. On est dans la tête d’un personnage dégueulasse, donc on voit des choses pas forcément agréables. Ces sensations, tous les spectateurs n’acceptent pas d’y être confrontés et d’être inconfortablement installés dans leur siège. », poursuit-il.

Hicham Lasri se sert d’une large palette d’outils pour faire comprendre au spectateur que « le cinéma sert pas uniquement à faire plaisir ». Une photographie qui tire sur le glauque. Des coins assombris. Une bande-son composée de larsen et autres bruitages obsédants. Des reflets qui font entrer le hors champ dans le cadre. Tout est fait pour oppresser le spectateur. Néanmoins, la finesse de l’écriture permet de s’accrocher et d’apprécier cet essai cinématographique.

Même si le réalisateur qui a « découvert le cinéma grâce aux DVD piratés » a l’habitude de confier lui même des copies de ses films aux boutiques, on recommande de visionner Starve your dog dans une salle obscure pour vivre pleinement l’expérience sensorielle.

 

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