Démutualisation de la Bourse. Boussaïd tuera-t-il son propre projet ?

Alors que le projet de démutualisation a été présenté en grande pompe en novembre dernier à la Bourse de Casablanca en présence de tout le gratin de la sphère financière du pays, il se retrouve aujourd’hui au point mort. En cause: un désaccord entre le Trésor et les sociétés de Bourse portant sur 250 millions de dirhams de réserves. Récit.

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Le 25 novembre 2015. La Bourse de Casablanca le jour de la signature du protocole d'accord de la démutualisation.

Mercredi 25 novembre 2015, au siège de la Bourse de Casablanca. Lors de cette matinée, un spectacle aussi inédit qu’improbable s’offre à la presse. Tout le gratin de la finance au Maroc est là: Mohamed Boussaïd, ministre des Finances, Abdellatif Zaghnoun, directeur général de la CDG, Karim Hajji, directeur général de la Bourse de Casablanca, Saïd Ibrahimi, directeur général de CFCA (Casablanca finance city authority), Othman Benjelloun, PDG de BMCE Bank of Africa, Mohamed Kettani, PDG d’Attijariwafa bank, Mohamed Benchaâboun, PDG de BCP, Hassan Boulaknadel, l’ex-DG du gendarme de la Bourse, Mohamed Hassan Bensalah, président de la FMSAR (Fédération marocaine des sociétés d’assurances et de réassurance). Sans parler des patrons des autres banques de la place (CIH, BMCI, CAM, CDM et SGMB) et des sept sociétés de Bourse indépendantes.

Ils sont tous là pour une seule raison: la signature du protocole d’accord de la démutualisation de la Bourse de Casablanca et la présentation du nouveau schéma de son capital. « C’est un grand jour pour nous », avait alors déclaré Karim Hajji. La refonte de la gouvernance de la place boursière est un chantier sur lequel les professionnels  planchent depuis 2009. Sept ans de réflexion donc. Pour l’ensemble du marché, c’est une première étape nécessaire à la réforme de la Bourse de Casablanca. Un grand pas sera donc franchi pour améliorer la structure de gouvernance et le processus de prise de décision tout en permettant à l’institution financière d’exercer son activité selon les standards internationaux. Toutes les personnalités présentes à cette signature se félicitaient déjà de la réalisation de ce gros chantier tant attendu. Lors de cette journée prometteuse pour le marché financier marocain, personne ne s’imaginait que ce projet pourrait éventuellement ne pas aboutir ou même être retardé.

Blocage du Trésor

Aujourd’hui, à trois mois de la signature de ce protocole d’accord par les 30 intervenants présents, cette éventualité devient de plus en plus probable. D’après nos informations, l’échéancier réservé à cette grosse opération n’a tout simplement pas été respecté. Lors de la présentation du projet d’ouverture du capital de la Bourse, un déroulé de l’échéancier avait été exposé fièrement par Karim Hajji. «C’est scandaleux! Aucune étape du calendrier de ce processus fixé préalablement n’a été entérinée. A ce jour, on se retrouve au même stade que lors de la signature du protocole d’accord, c’est-à-dire rien », regrette l’un des 30 signataires, qui a requis l’anonymat.

Et pourquoi? La direction du Trésor, dirigée par Fouzia Zaâboul et qui relève du ministère de L’Économie et des Finances, n’a toujours pas donné son aval officiel pour la valorisation de la Bourse de Casablanca, nécessaire pour acter les augmentations de son capital, qui étaient prévues pour le 31 décembre dernier. Non seulement cette échéance de deux mois a été dépassée, mais la date butoir pour que le protocole d’accord devienne caduc intervient le 31 mars prochain. Autrement dit, il reste un seul mois avant que tout le projet ne tombe à l’eau si rien n’est fait. La première échéance ratée a été le 15 décembre dernier, date à laquelle la valorisation de la Bourse devait être finalisée. « Les prix des actions sont fixées par le CDVM (ancienne appellation du gendarme de la Bourse) qui pourra décider de se faire assister, dans le cadre des travaux de valorisation, par un à deux organismes d’évaluation », stipule le protocole d’accord dont TelQuel détient une copie.

Un différend de 250 millions

«Hassan Boulaknadel, bien avant son départ, a effectivement finalisé le travail qui devait être fait pour la valorisation de la Place, comme cela a été prévu, et il a envoyé sa copie au ministère des Finances. La direction du Trésor qui se charge de ce volet-là n’a pas encore validé la proposition de l’ex-DG de l’AMMC (Autorité marocaine du marché des capitaux). La Bourse attend toujours la réponse du département des Finances dans ce sens», nous explique un des signataires. D’après nos informations, le ministre aurait donné, en interne, sa validation de la valorisation telle que proposée par Boulaknadel, mais ni les sociétés de Bourse ni la direction de la Bourse n’ont encore reçu de confirmation officielle. «Tant que nous n’avons pas reçu une validation par courrier officiel de la part du ministère des Finances, nous ne pouvons pas organiser toutes les assemblées générales relatives à l’exécution du projet de démutualisation», nous confie le patron d’une société de Bourse.

Mais pourquoi autant de retard pour le déclenchement d’une réforme que tous les professionnels espéraient? Fouzia Zaâboul, serait en désaccord avec les sociétés de Bourse sur le sort des 650 millions de dirhams de réserves cumulées en 20 ans d’activités par la Bourse. Il faut noter que le volet relatif à ces réserves revêt une importance capitale dans le déclenchement du processus de démutualisation. « Alors que le deal initial était de donner 200 millions de dirhams de redevance de concession à l’État, 200 millions aux sociétés de Bourse qui doivent se les partager en dividendes, et les 250 millions restants, selon la loi, devaient revenir aux actionnaires de la société gestionnaire de la Bourse. Le Trésor veut aujourd’hui récupérer ces 250 millions de dirhams alors qu’ils nous reviennent de droit », s’insurge le patron d’une des 7 sociétés de Bourse indépendantes, signataires du deal. Et d’ajouter: « Les sociétés indépendantes qui, contrairement à celles adossées à des banques, vont rester dans le tour de table de la Place, prévoient d’injecter ces 250 millions dans le capital. Il faut savoir que la Bourse de Casablanca a des projets à financer, notamment en ce qui concerne la refonte de sa structure informatique et la construction d’un nouveau siège ». Le projet de démutualisation pourrait donc être avorté à cause d’un conflit financier entre le Trésor et les sociétés de Bourse pour un montant de 250 millions de dirhams, qui pourrait sembler dérisoire vu l’importance de cette opération pour l’ensemble du marché financier marocain. « Comme on n’a pas encore terminé le travail relatif à ce projet, je ne peux pas en parler. Mais l’allocation des 250 millions de dirhams qui restent est une décision de la direction de la Bourse », botte en touche Fouzia Zaâboul, directrice générale du Trésor et des finances extérieures, l’un des départements les plus importants du ministère des Finances. Le protocole d’accord, rédigé par Me Hicham Naciri, l’avocat en chef du cabinet Naciri & Associés Allen & Overy, et qui était également présent lors de la signature de ce contrat, prévoit en effet que « la Bourse de Casablanca verse à l’État marocain, à la date de conclusion de l’avenant au contrat de concession, une redevance d’un montant de 200 millions de dirhams ». Ce même protocole a également prévu de verser 200 millions en dividendes aux actionnaires, mais aucun mot sur le reliquat de 250 millions.

Stand-by dangereux

Bloqué par le sort à réserver aux 250 millions de dirhams, le projet de démutualisation n’avance finalement pas. Même l’assemblée générale extraordinaire, qui devait avoir lieu le 31 décembre dernier, ne s’est pas tenue. Alors qu’elle devait décider, notamment, des augmentations de capital réservées à la CDG et à CFCA (Casablanca finance city authority) et de la mise en harmonie des statuts de la Bourse avec les stipulations du pacte d’actionnaires. Interpellé sur ce blocage, une source autorisée à la Bourse de Casablanca nous affirme d’emblée: « On n’a pas encore eu de nouvelles, ni officielles ni officieuses d’ailleurs, sur le projet de démutualisation. C’est au niveau du gouvernement que les choses doivent bouger. Ce n’est pas vraiment au niveau de la Bourse que les décisions doivent être prises. C’est une société gestionnaire, qui n’a pas la main sur ce projet. Ça se passe plus haut ».

Le projet de démutualisation est devenu en peu de temps la patate chaude que le ministère des Finances et la Bourse se renvoient quand il s’agit de justifier son état d’avancement. Un spectacle affligeant, alors que Mohamed Boussaïd voulait dès le départ être le porteur de ce projet. Lors de sa présentation en novembre 2015, le ministre des Finances semblait même vexé que Karim Hajji ait fait le déroulé de l’opération, lui volant ainsi la vedette. Interpellé par TelQuel, Mohamed Boussaïd n’a pas donné suite à nos nombreuses sollicitations. Il faut dire que ce n’est pas seulement la Bourse qui se retrouve aujourd’hui complètement dépassée par les événements, c’est le cas également pour Casablanca finance city authority (CFCA). Disposer d’une Bourse aux normes internationales est un préalable à la construction d’un « hub régional », comme l’ambitionne CFCA. Alors que Saïd Ibrahimi fait partie des 30 signataires, la structure qu’il chapeaute nous invite tout simplement à « prendre attache avec le ministère de l’Économie et des Finances en charge de la démutualisation », en réponse à nos demandes d’explications. Pour ce financier aguerri, «CFCA est viscéralement impliquée dans ce processus de démutualisation parce que, dans son business model, elle a besoin d’une Bourse qui fonctionne pour avoir un argument marketing auprès des investisseurs étrangers qu’elle compte recruter. Sans une plateforme financière solide, CFCA ne sera qu’une agence immobilière».

London Stock Exchange, vraiment?

Depuis novembre 2015, tous les actionnaires qui constitueront le nouveau tour de table de la Bourse sont connus sauf un, et pas des moindres. Le mystérieux actionnaire étranger ne devait être identifié qu’à la fin du mois de décembre, selon l’échéancier prévu. Même à ce niveau-là, rien n’est encore fait. Il a été convenu que cet actionnaire détiendrait 20% du capital de la société gestionnaire. Alors que la CDG a raflé 25% des parts, Mohamed Boussaïd et Karim Hajji avaient insisté sur le caractère provisoire de cette participation. A terme, la CDG ne devrait en conserver que 5%. Les 20% restants seront confiés à un partenaire étranger. Des rumeurs avaient alors fusé quant au recrutement de la London Stock Exchange comme acquéreur de ces 20%. Une possibilité qui semble s’éloigner. « Il devient quasi improbable de recruter un partenaire de ce calibre vu l’amateurisme avec lequel le projet de démutualisation a été traité: des échéances qui ne sont pas respectées, des réserves dont la répartition devient problématique… Pour notre image à l’international, le ministère des Finances ne devait pas se permettre une telle anarchie», conclut ce patron d’une société de Bourse indépendante.

La réforme est ailleurs

Démutualisation ou pas, le véritable problème de la Bourse de Casablanca est la volumétrie squelettique des échanges. Au terme de la séance ce mercredi 24 février, le volume du marché s’est cantonné à 38 millions de dirhams. Autant dire des miettes. Exit la pluie de coups de fil et les ordres d’achat et de vente. « Il n’y a pas beaucoup d’ordre. Malheureusement, nous passons la journée à ne presque rien faire, car la volumétrie d’échanges est très famélique », regrette ce col blanc. La volumétrie enregistrée en 2015 représente 27% seulement de celle de 2007. Pour les professionnels, c’est cette problématique qu’il faut résoudre en priorité. « Nous avons collaboré au projet de démutualisation porté par Boussaid, justement pour passer à un autre pilier de développement, celui de la liquidité et de la volumétrie », avoue ce vieux routier du marché financier.[/encadre]
 

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