60% des projets autorisés n'ont pas été conçus par des architectes

L'Ordre National des Architectes sort de son mutisme pour dénoncer la fraude dans la profession. Il s'insurge contre les architectes qui marchandent leur signature et cachets parfois contre 300 dirhams.

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C’est un séisme que vient de faire éclater l’Ordre National des Architectes. Les 12 présidents régionaux en plus du président national ont tous été présents lors du point de presse organisé pour dénoncer une pratique qui prolifère dans le milieu des architectes : la signature de complaisance. Des architectes acceptent d’apposer leurs cachets sur des plans qu’ils n’ont pas conçus et dont ils ne feront pas le suivi, tout ça contre de l’argent. Ce qui est contraire à la loi 16-89 relative à l’exercice de la profession d’architecte. Selon les articles de cette loi, un architecte a pour mission générale la conception architecturale des projets de construction et de lotissements ainsi que le suivi de leur réalisation jusqu’à la réception des travaux par le maitre d’ouvrage, et la délivrance d’une attestation de conformité, qui donne droit a l’obtention du permis d’habiter délivré par les autorités compétentes.

Une pratique illégale répandue

Un procédé qui n’est pas du tout respecté par les architectes signataires. « Ils sont approchés par des rabatteurs, personnes issues d’organismes publics qui produisent des plans et ont besoin d’un visa pour les faire passer », explique Nasreddine Njima président du conseil régional Marrakech. Ces architectes signataires ne sont qu’un maillon d’une chaine plus importante qui comprend des intermédiaires, des fonctionnaires de l’agence urbaine, des agents communaux, notamment les techniciens de la division du plan en charge des demandes de permis de construire… Cette pratique est bien plus répandue qu’on ne le croit. Selon l’Ordre des architectes 30% des professionnels en exercice au niveau national sont « architectes signataires ». Les estimations de l’Ordre font ressortir que 60%  des projets autorisés actuellement n’ont pas été conçus par des architectes. Cette proportion peut être plus importante en fonction des régions. C’est le cas par exemple dans un arrondissement à Tanger où l’immobilier est à vocation économique. « 80% des 800 dossiers autorisés dans cet arrondissement sont le fait de deux architectes », confie Abdelhak Ibrahimi, président du conseil régional de Tanger. Certains architectes installent des adresses fictives dans différentes régions pour louer des cachets à des montants allant jusqu’à 30 000 dirhams le mois. A Casablanca, la signature des plans d’un immeuble R+5 se paye entre 10 000  et 20 000 dirhams. Si ce projet avait été fait dans les règles de l’art il aurait couté 300 000 dirhams. Les plans d’une villa sont visés pour 2000 dirhams. 60% des commandes dans le grand Casablanca sont réalisées par des architectes signataires. « Le premier du classement a signé 500 dossiers ce qui lui fait une moyenne de deux dossiers par jour », s’insurge Karim Sbai, président du conseil régional du grand Casablanca. « Quand un architecte travaille sur deux dossiers par mois il est bien », ajoute-t-il.

Une campagne d’assainissement se met en place

Tout en les dénonçant, les membres de l’Ordre des architectes expliquent les motivations de cette catégorie. « Certains d’entre eux sont de véritables cas sociaux que nous essayons d’accompagner », affirme Mohammed Amrani, président du conseil régional de Fès. Quoi qu’il en soit, ces pseudo architectes cassent les prix en faveur de la quantité pour se faire des bénéfices annuels dépassant 500.000 dirhams. Le citoyen se retrouve piégé par cette mécanique, parce que les biens immobiliers dont il va bénéficier sont construits sans encadrement technique délaissé aux tâcherons qui fait comme bon leur semble. En clair, cette pratique met en péril la sécurité des personnes et des biens. Pour contrer cela, l’Ordre National des Architectes déclare 2016, année de l’assainissement. Il compte lancer une grande campagne contre ces pratiques délictuelles à travers la mise en place d’une procédure commune. Des commissions d’enquête seront constituées pour examiner les cas d’architectes suspectés sur la base des statistiques des projets pris en charge par les professionnels. Des visites de chantier permettront de compléter les investigations. L’ordre national des architectes promet des mesures disciplinaires contre les architectes signataires qui vont être prises par les conseils régionaux en vertu de  la loi 16-89. Les sanctions consistent en l’avertissement, le blâme, la suspension pour une durée maximale de 6 mois et, pour les fautes les plus graves, le retrait définitif de l’autorisation d’exercer.
La prévention n’est pas en reste. Pour dissuader les professionnels, il est désormais demandé aux architectes de remplir dûment toutes les rubriques du contrat d’architecte. « Les conseils régionaux se réservent le droit de ne délivrer le cahier de chantier qu’après examen du contrat et du projet qui lui est relatif et s’assurent dorénavant que les plans déposés sont identiques à ceux transmis aux administrations concernées pour autorisation », affirme Abdelouahed Mountassir le président de l’ordre national des architectes. Si la profession a pris conscience de la gravité de la situation, il est du devoir de l’administration d’en faire de même car c’est à son niveau que les irrégularités prennent forme.

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