«À cause de la douleur, je ne pouvais pas dormir. Je ne pouvais pas parler à mes amis. J’avais envie de m’écraser la tête contre le mur et de la secouer… J’étais littéralement déchiré par la douleur», raconte Adil Akram, 29 ans, qui a lutté pendant des années contre un cancer à la jambe. «Avant la morphine, il ne pouvait pas dormir, il ne pouvait même pas s’asseoir… Il hurlait constamment (…) C’est votre père et vous ne savez que faire pour l’aider. Si je pouvais prendre pour moi une partie de sa douleur, je le ferais», se rappelle Maya Jalali, fille de Haydar Jalali, souffrant d’un cancer à l’abdomen. «Il a des douleurs dans les bras et dans les parties intimes. Il ne fait que pleurer lorsqu’il souffre», raconte le médecin de Mahmud, un autre cancéreux.
Ces trois témoignages, recueillis par HRW (Human rights watch) et rendus publics le 4 février, sont un exemple parmi plusieurs autres qui illustre la situation des personnes souffrant de grandes douleurs en raison de l’absence, de la rareté ou de l’inadéquation des soins palliatifs. Le rapport réalisé par l’ONG américaine dresse un tableau exhaustif de la situation de ces soins au Maroc, en souligne les problèmes structurels et appelle à ce que le Maroc, qui a enregistré des avancées dans le domaine, mais qui demeurent insuffisantes, soit un pays pionnier dans la région dans ce domaine.
Le Maroc peut devenir un pionnier
«Le Maroc a la possibilité de devenir un leader régional en Afrique francophone dans le domaine des soins palliatifs », a déclaré à HRW le Dr Mati Nejmi, pionnier des soins palliatifs dans le pays. « Mais le Maroc devra pour cela intensifier de façon significative ses efforts afin de garantir l’accessibilité de ces services», ajoute-t-il, dans la mesure où les malades soignés par ces antidouleurs puissants demeurent des privilégiés. Ils seraient 62 000 Marocains qui souffrent annuellement de cancers, de maladies chroniques à un stade avancé comme «les maladies cardiaques, pulmonaires ou rénales; les formes de démence; et le sida», souligne le rapport. Une situation qui expose ces malades à souffrir de «symptômes débilitants tels que la douleur, l’insuffisance respiratoire et la dépression», selon le rapport.
«Ces symptômes peuvent souvent être traités de manière satisfaisante grâce aux soins palliatifs, un service de santé qui consiste à les atténuer et à faire en sorte que les personnes atteintes de maladies incurables, ainsi que leurs proches, puissent jouir de la meilleure qualité de vie possible pendant le cours de leur maladie et jusqu’à leurs derniers moments», souligne le document.
Si les soins palliatifs sont devenus «une priorité des plus pressantes» en raison du vieillissement des populations et de « la prévalence des maladies chroniques [qui] s’accroît dans la plupart des pays à revenus moyens ou bas». Le Maroc est aussi concerné par cette situation, car «les maladies non transmissibles comme le cancer, l’insuffisance cardiaque, le diabète et les affections respiratoires représentent 75 % des décès annuels dont le nombre est estimé à 206 000». Et ce chiffre va «presque doubler au cours des 15 prochaines années» en raison du «pourcentage des personnes âgées de plus de 65, segment de la population le plus affecté par ces maladies» qui va doubler. Pire, lors de la même période, l’incidence du cancer devrait presque tripler, fait remarquer HRW.
Manque d’infrastructures
Au Maroc, seuls deux hôpitaux publics disposent «d’unités spécifiques proposant ce service de santé essentiel, et seulement aux malades atteints d’un cancer», pointe un communiqué de presse de l’organisation, diffusé avec le rapport. «Les malades souffrant de douleurs aiguës et qui ne vivent pas dans ces deux villes doivent soit entreprendre des déplacements difficiles pour se rendre dans ces centres, soit se passer de médicaments antidouleur efficaces», ajoute la même source.
«La situation est particulièrement grave pour les 40 000 Marocains qui chaque année ont besoin des soins palliatifs pour des maladies autres que le cancer», souligne le communiqué. Et d’ajouter que le Maroc ne dispose d’aucun service de soins palliatifs pour les maladies cardiaques, respiratoires ou rénales à un stade avancé. Selon le rapport, 4 malades sur 5 ne bénéficient pas de l’accès ces traitements, et seulement 50 médecins au Maroc peuvent prescrire de la morphine, une des solutions accessible et pas chère.
Si l’ONG reconnait que le Maroc a «clairement identifié les soins palliatifs comme étant une importante question de santé publique», elle explique qu’ainsi «il est bien placé pour s’attaquer à la tâche importante consistant à assurer que les soins palliatifs soient à la portée de tous les Marocains qui en ont besoin». Elle appelle le gouvernement marocain à «créer des unités de soins palliatifs généraux dans chacun des cinq centres hospitaliers universitaires» à «créer des unités de soins palliatifs dans tous les centres oncologiques régionaux et à l’hôpital d’oncologie pédiatrique de Rabat».
Cette étude a été menée au Maroc entre septembre 2014 et janvier 2015. Au avec «des entretiens approfondis auprès de 85 patients et professionnels de la santé dans cinq régions du Maroc». HRW a effectué une analyse détaillée des lois, réglementations et politiques du Maroc concernant les soins palliatifs, conclut le communiqué de l’ONG.
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