Crise à la Samir: ce que risque le Maroc

Mohammed Hussein Al Amoudi, PDG de la Samir, menace de porter le différend qui l’oppose au gouvernement marocain devant le CIRDI. Cette instance arbitrale internationale relevant de la Banque Mondiale se distingue par le caractère exécutoire de ses sentences. Explications en cinq points.

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Alors qu’une procédure de règlement à l’amiable est entamée depuis le 30 novembre devant le Tribunal de commerce de Casablanca, le président du groupe Corral, Mohammed Hussein Al Amoudi brandit la menace de dépôt d’une requête d’arbitrage devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs à l’investissement (le CIRDI), une instance juridictionnelle sous tutelle de la Banque Mondiale. Dans un courrier de Corral Holding Maroc, actionnaire majoritaire de la Samir, adressé au Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, le 15 novembre dernier, Al Amoudi exige du gouvernement marocain un délai de conciliation de quatre mois. Passé ce délai, il recourra à l’arbitrage du CIRDI.

Pourquoi ce choix

La société Corral Holding Maroc est une filiale du groupe suédois Corral Petroleum Holding AB. De par ce lien, elle est soumise aux dispositions de la convention de promotion et de protection des investissements entre le Maroc et la Suède, signée en 1990 par les deux royaumes. En effet, l’article 8 de cet accord dispose que « si un différend d’ordre juridique relatif à un investissement naît entre une partie contractante et un investisseur de l’autre partie contractante, il sera autant que possible réglé à l’amiable entre les parties au litige ». La même disposition prévoit également le cas de l’impossibilité d’un règlement à l’amiable. Il fixe ainsi un délai butoir de quatre mois à compter de la date de notification faite par l’une des parties à l’autre. Au terme de cette période, « chacune des parties contractantes consent à le soumettre (le litige) aux fins d’arbitrage au CIRDI ».

Qu’est-ce le CIRDI?

Le Centre représente le bras arbitral du groupe la Banque Mondiale. Il dispose d’instruments de procédure en matière de conciliation et d’arbitrage pour trouver des solutions aux litiges liés aux investissements entre États ou ressortissants d’États membres de la convention de Washington de 1965, ratifiée la même année par le Maroc. Le Centre tient une liste de conciliateurs et une autre d’arbitres, où le Maroc est présent depuis 2010, en y désignant un certain nombre d’experts (Abdelilah Barjani, Idriss Bouziane, El Hassan El Guassim et Abdelkader Lahlou). Ces nominations ont eu lieu pendant le mandant de Mohamed Taïeb Naciri, alors ministre de la Justice. Sur le plan procédural, le tribunal arbitral du CIRDI fonctionne selon son propre règlement. Il se constitue 90 jours après la notification de l’enregistrement de la requête par le secrétariat général du centre et se compose soit d’un arbitre unique soit d’un nombre impair d’arbitres. Le tribunal statue à la majorité des voix de ses membres et la sentence est rendue par écrit et signée par tous les membres. Elle est motivée et doit répondre à tous les griefs soumis au tribunal.

Quels sont les griefs d’Al Amudi ?

Dans sa requête, Al Amudi avance des arguments démontrant les entraves faites à son business au Maroc, et qu’il expose dans sa lettre envoyée au chef de gouvernement. L’homme d’affaires saoudien dénonce la transgression des dispositions du traité bilatéral entre le Maroc et la Suède. Dans le même ordre d’idée, le patron de Corral ajoute : « la demande injustifiée de la part du gouvernement de s’acquitter des dettes douanières, de la saisie des comptes bancaires et de l’immobilier de la Samir ». Il souligne également : « l’interdiction aux navires pétroliers d’accoster au port de Mohammedia ». Selon lui, les visites des équipes de l’Administration des douanes, dans les locaux de la Samir, les 28 septembre et 1er octobre derniers, représentent une menace de saisie et de vente aux enchères des fonds de la Samir. Pourtant, les services des douanes ne sont jamais passés à l’action pour recouvrer les 13,7 milliards de dirhams dus. « Il pourra également utiliser l’annonce de la construction d’une raffinerie sur le site de Jorf Lasfar à El Jadida par Abdelkader Amara, ministre de l’Énergie comme un élément de plus dans sa théorie du complot », ne manque pas de commenter, sur un ton ironique, un avocat d’affaires de la place.

Quels sont les antécédents du Maroc face au CIRDI ?

Ce n’est pas la première fois que le Maroc est partie prenante dans un litige dans le cadre de cette procédure d’arbitrage. En 1972, Holiday Inn recourt au Cirdi pour cessation de paiement de la part du Maroc. Ce dernier oppose l’inexécution d’obligations contractuelles relatives à la construction de quatre établissements hôteliers. La procédure prend fin en 1978, avec l’adoption d’un accord amiable. En 1999, c’est au tour du Consortium R.F.C.C d’attaquer le Maroc auprès du CIRDI, à travers la société Autoroutes du Maroc (ADM). Il reproche au Maroc d’avoir fait acte de favoritisme en attribuant un marché au profit d’un groupement économique national. Le tribunal arbitral a débouté le plaignant. La dernière affaire en date remonte à 2001. Elle oppose la société italienne Salini Costruttori au ministère de l’Équipement marocain au sujet du décompte d’un chantier. Le Maroc a été condamné au paiement des dommages résultants des frais générés par les travaux.

Que risque le Maroc s’il perd?

Comme le prévoit la loi, la sentence du CIRDI a la force d’un jugement prononcé par des tribunaux nationaux. Elle peut même faire l’objet d’une exécution forcée. Il suffit de présenter une copie de la sentence à un tribunal compétent pour en obtenir l’exécution. Il existe toutefois des procédures de révision ou d’annulation de la sentence. Mais, elles sont conditionnées par l’apport d’une preuve de vice de forme, de fond ou encore par la découverte d’un fait nouveau décisif quant au règlement du litige. Toujours est-il que l’aboutissement de la procédure d’arbitrage, que compte lancer Al Amudi à l’encontre du gouvernement marocain peut donner lieux à trois scénarii. Le tribunal arbitral peut reconnaitre le bienfondé de ses griefs et impose les conditions d’un règlement amiable au Maroc. Les dispositions de la sentence finale dépendent  des clauses comprises dans le contrat liant la Samir au gouvernant marocain. Il se peut aussi qu’Al Amoudi soit débouté de sa demande pour faits non avérés. Ou enfin, que d’un commun accord, les deux parties se désistent de la procédure d’arbitrage et règlent leur conflit en dehors de l’instance. Seule la sortie très attendue de Abdelkader Amara, ministre de l’Énergie et des Mines, indiquera le tournant que compte donner le Maroc à ce dossier.

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