Art contemporain. Très chères toiles marocaines

Une quarantaine d’œuvres d’artistes marocains ont fait l’objet d’une vente aux enchères dans le cadre de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) de Paris.

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Djilis, une œuvre peinte par Jilali Gharbaoui en 1961. Crédit: DR

Mardi 27 octobre, l’hôtel particulier de l’avenue Hoche, dans le VIIIe arrondissement de Paris, bourdonne de monde. La maison de vente Cornette de Saint-Cyr y tient sa plus importante vacation de l’année, en pleine Foire internationale d’art contemporain (FIAC). Les collectionneurs, venus du monde entier, se sont disputé, parmi les œuvres proposées, une importante sélection consacrée à la création marocaine. À côté des huiles sur toile de Serge Poliakoff, des aquarelles de Georges Mathieu, des sculptures de César et Niki de Saint Phalle, d’une encre sur papier signée Andy Warhol ou encore des formidables installations métalliques de Bob Morris, figuraient un diptyque de Kacimi, un Glaoui, un Chaïbia, deux œuvres sur peau de Belkahia… Record mondial pour Éclosion, huile sur panneau de Jilali Gharbaoui, estimée à 235 000 € et adjugée, avec frais, à près de 300 000 €. Djilis, une œuvre sur papier du même artiste, estimée à 80 000 €, a été adjugée au marteau à 85 000 €, soit près de 110 000 € avec frais, un record mondial aussi pour ce type d’œuvre.

Depuis 2013, Cornette de Saint-Cyr organise des ventes en partenariat avec son homologue casablancaise La Marocaine des Arts. Le commissaire-priseur Arnaud Cornette de Saint-Cyr, dont le père, né à Meknès, a fondé la maison de ventes en 1973, y avait déjà animé des ventes et salue le professionnalisme de ses confrères. Salima Tazi Kettani, fondatrice de La Marocaine des Arts, précise : « Pour cette vente de prestige, nous n’avons sélectionné que de grands noms ». Aux plus illustres artistes de la seconde moitié du XXe siècle répondaient donc trois générations d’artistes marocains: les pionniers, dont Melehi, Ben Cheffaj, Hamidi, Miloud Labied, Abdelkebir Rabii, Malika Agueznay ou Radia Bent El Houcine; la génération des années 1980, avec Fouad Bellamine ou Saladi, en quête de leur singularité; enfin ceux qui, dès les années 1990, ont intégré à leur pratique l’installation et le numérique, dont Mohamed El Baz, Fatiha Zemmouri, Safaa Erruas… Sur la quarantaine de lots présentés, près de la moitié ont trouvé acquéreur, dont, sans surprise, les artistes patrimoniaux, mais aussi des artistes plus récents, comme Mahi Binebine, Najia Mehadji ou Fathiya Tahiri.

Nombreux pôles de modernité

Pour Arnaud Cornette de Saint-Cyr, il ne s’agissait en aucun cas d’une « démarche ethnique » visant à « implanter de l’art marocain dans une vente d’art contemporain. Le projet était de faire dialoguer des artistes qui ont été influencés par les mêmes réflexions et découvertes. C’est donc de l’art contemporain, avec des artistes qui sont impliqués dans tous les questionnements universels qu’ils mènent en partant de leurs racines. » Et de se féliciter de l’accueil favorable fait à cette proposition : « Le vrai juge d’un artiste, c’est un autre artiste. Quand Gharbaoui est en parallèle avec Poliakoff, le dialogue existe et il est fécond. » Artistes majeurs de l’après-guerre, les Marocains ont donc été présentés à côté de leurs homologues d’Europe, des États-Unis et de Chine. « Qu’aurait été la modernité à Paris sans l’apport déterminant des artistes étrangers qui l’ont nourrie en permanence? », s’interroge le spécialiste d’art contemporain Stéphane Corréard, rappelant la présence des artistes marocains à Paris et l’existence d’autres pôles de réflexion sur la modernité hors du monde occidental, en Argentine, au Congo, au Liban et bien sûr au Maroc. Stéphane Corréard insiste justement sur l’importance dans ce mouvement des femmes, des autodidactes et des marginaux, et salue, comme son confrère Mohamed Rachdi, le rôle des critiques et historiens d’art qui ont rompu avec un certain ethnocentrisme, dont Toni Maraïni ou Pierre Restany.

Cet événement prolonge la saison culturelle France-Maroc, qui a drainé plus de 200 000 visiteurs en 2014 à l’Institut du monde arabe, au Louvre et à l’Institut des cultures d’Islam. Mais l’art contemporain marocain avait déjà fait l’objet de plusieurs ventes à Paris. Le 25 novembre 2014, Artcurial avait organisé « Moroccan Spirit 1874-1970 » où deux tiers des lots avaient été vendus pour 1,5 million d’euros. Les partenariats entre maisons de ventes marocaines et françaises se développent: le 3 juin 2015, Millon (Paris) et Mazad & Art (Tanger) ont présenté « The master artists of Morocco », 132 œuvres exclusivement marocaines, où L’offrande de Saladi a atteint un record mondial de 466 518 €. Toutes deux programment pour décembre une vente en duplex entre Paris et Marrakech. Après Dubaï, l’art contemporain marocain trouve en Paris une nouvelle plaque tournante.

 

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