Ahmed Aboutaleb, l'immigré marocain devenu maire de Rotterdam

Ahmed Aboutaleb a 15 ans lorsqu'il quitte le Maroc pour les Pays-Bas. Quarante ans plus tard, alors que la crise des migrants divise l'Europe, le premier immigré musulman devenu maire d'une ville néerlandaise souhaite offrir aide et espoir aux demandeurs d'asile.

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Ahmed Aboutaleb. Crédit : Robert Vos/AFP/Getty Images
Ahmed Aboutaleb. Crédit : Robert Vos/AFP/Getty Images

S’identifiant facilement aux migrants qui débarquent dans un pays inconnu, Ahmed Aboutaleb porte un regard compatissant sur ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants au coeur de la pire crise migratoire qu’ait connue l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

« Je n’ai pas de recette, je n’ai que mes propres expériences et ma politique dans ma ville », assure M. Aboutaleb, en fonction depuis 2009, dans un entretien à l’AFP.

Figure connue du paysage politique néerlandais, M. Aboutaleb s’est distingué sur la scène internationale après l’attaque menée en janvier contre l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo, s’adressant alors avec sa verve habituelle aux musulmans qui ne souhaitent pas « vivre avec la liberté »: « Si ce lieu ne vous convient pas (…), foutez le camp ! »

A 54 ans, M. Aboutaleb défend avec passion la liberté de croyance – « si quelqu’un veut prier 24 heures par jour, qu’y a-t-il de mal à cela? » -, mais rejette fermement l’usage de la violence pour imposer une opinion ou menacer la démocratie.

« En tant que maire, j’aime les gens qui ont des idées radicales », explique-t-il : « C’est grâce à des idées radicales sur la manière de diriger nos civilisations et nos sociétés que nous avons quitté l’Âge de Pierre« .

« Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit, nous parlons ici d’un groupe de gens qui en menacent d’autres, pas seulement parce qu’ils ont des idées radicales, mais aussi parce qu’il pensent détenir une vérité justifiant leurs buts, politiques ou sociaux, par l’usage de la violence ».

‘Jihad’ n’est pas le bon mot

Le travailliste Ahmed Aboutaleb a joué l’apaisement à Rotterdam, premier port d’Europe et ville du célèbre populiste Pim Fortuyn, un critique de l’islam assassiné en 2002 par un homme qui entendait ainsi défendre les immigrés musulmans et les demandeurs d’asile notamment.

Mais alors que les Pays-Bas s’apprêtent à accueillir en 2015 un total de 60 000 demandeurs d’asile, avec désormais 3 000 nouvelles demandes par semaine, des tensions surgissent dans le pays comme ailleurs en Europe.

Non loin des Pays-Bas, en Allemagne, Henriette Reker a été élue dimanche maire de Cologne après avoir été gravement blessée au couteau la veille par un homme opposé à l’arrivée des réfugiés.

M. Aboutaleb a lui-même subi l’ire de ses citoyens la semaine dernière lorsqu’il est venu expliquer aux riverains l’installation dans leur quartier d’un centre pour demandeurs d’asile : le maire a été copieusement insulté et des pierres jetées.

Fils d’un imam sunnite, Ahmed Aboutaleb regrette ce qu’il estime être une profonde méconnaissance de l’islam. « Jihadiste n’est pas le mot qu’il faut utiliser », assure-t-il. « Je suis un jihadiste car je fais chaque jour ce qu’il faut pour ma ville ».

« Il y a 68 définitions du jihad. Si vous enlevez un morceau de verre de la chaussée (…) pour éviter que les vélos soient abîmés, vous êtes un jihadiste », sourit-il.

Les dirigeants, les analystes et tous ceux occupant des fonctions influentes « doivent expliquer aux gens de quoi on parle », soutient M. Aboutaleb, selon lequel parents et éducateurs ont aussi un rôle à jouer.

Ce natif de Beni Sidel, au Maroc, est une des personnalités montantes au sein du parti travailliste néerlandais et certains l’imaginent volontiers en candidat potentiel au prochain poste de Premier ministre.

Humanité 

Sa renommée croissante lui a aussi valu des invitations à la Maison blanche et à l’Assemblée générale de l’ONU pour discuter de la montée en force du groupe Etat Islamique.

« J’ai déjà été au lit sans avoir mangé (…), j’ai marché sans chaussures, je sais ce que l’on ressent quand on vit dehors, qu’il fait froid et qu’on n’a pas de bon manteau », raconte-t-il.

Lors de son arrivée aux Pays-Bas, il se demandait s’il arriverait un jour à maîtriser la langue. « Je pleurais dans mon lit durant ces années, il n’a pas été facile de s’adapter », confie-t-il.

Mais ses expériences ne sont pas, dit-il, « la principale motivation » à ne pas laisser les demandeurs d’asile dormir dans les rues de sa ville: il évoque « les principes de base de l’humanité ».

Rappelant que Rotterdam a été bombardée par les Nazis durant la Seconde guerre mondiale, il relate : « durant la guerre, cette ville a reçu beaucoup de soutien quand les gens […] en avaient besoin. La solidarité est quelque chose de réciproque. A l’époque, ma ville avait besoin d’aide, et maintenant, d’autres ont besoin d’aide ».

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