« Un soir je rentrais de mon travail à 20 heures quand je me suis rendu compte que quelqu’un avait changé la serrure de mon appartement », nous explique Akram Hilmi, propriétaire à Al Irfane à Tanger. Le problème : le promoteur immobilier a mélangé les titres de propriété, un décalage s’est fait entre les appartements livrés et ceux inscrits à la conservation foncière. Résultat : des personnes se battent depuis des années pour récupérer leur véritable bien, alors que d’autres ne veulent pas réaliser l’échange parce qu’ils ont déjà commencé à investir dans des travaux de rénovation. Cette triste histoire des habitants de la résidence d’appartements économiques Al Irfane 1 construite par Addoha à Tanger, est symptomatique des problèmes que rencontrent les acquéreurs de biens immobiliers neufs : des erreurs en cascades qui peuvent avoir des conséquences sur tout un projet de vie.
A Al Irfane, les premiers appartements ont été livrés en 2007, les acquéreurs se sont rendus compte de l’erreur en 2010 et depuis, Addoha n’a toujours pas réussi à répondre aux attentes des propriétaires : « Nous avons rencontré les dirigeants de l’antenne de Tanger une dizaine de fois, certains d’entre nous sont allés jusqu’à Casablanca, mais ils nient le problème », nous raconte M.L, une personne concernée. De son côté, le promoteur assure ne pas être au courant de cette histoire. « Nous en aurions entendu parler depuis le temps », répond Saâd Sefrioui, directeur général délégué du groupe. « Nous n’avons aucun cas qui est venu réclamer à ce jour », affirme pour sa part le service communication de l’entreprise.
Des années de retard
Et ce que les acquéreurs appellent maintenant des « arnaques immobilières » ne se retrouvent pas que chez Addoha. Plusieurs projets d’Alliances font aussi l’objet de mécontentements. A Riad M’Diq, on retrouve des problèmes similaires. Les réservations ont été signées en 2011. Alors que la livraison était prévue pour 2013, la plupart des acheteurs n’ont toujours pas récupéré leur bien aujourd’hui.
Pour ceux qui ont eu de la chance, ils ont emménagé sans que le réseau d’assainissement soit construit. Pour ces personnes, parmi lesquelles de nombreux MRE qui ne peuvent pas forcément se rendre sur place pour suivre l’avancée des travaux, c’est la déception : « Les maquettes que l’on vous présente à Bruxelles ou Paris sont superbes, puis sur place, il n’en est rien. Comme le terrain est en pente, il y a déjà des glissements de terrains qui risquent de poser des problèmes de sécurité », s’inquiète un Maroco-belge. Si ce dernier n’a pas encore été livré, il préfère relativiser sa propre situation. Il évoque le cas de MRE qui avaient prévu de revenir au pays pour leur retraite mais qui sont décédés avant même de mettre un pied dans le bien pour lequel ils avaient économisé.
Absence de titre de propriété
Et le cauchemar ne prend pas fin avec la livraison et les travaux réalisés de leur poche pour combler les malfaçons. Arrive ensuite le parcours du combattant pour obtenir son titre de propriété. C’est par exemple ce qui arrive aux acquéreurs du projet Samanah, à Marrakech. Cette fois-ci, c’est un promoteur français qui n’a pas respecté ses engagements : le duo Crenn-Hennessy . « Nous ne sommes pas des idiots ayant investi de manière inconsidérée. Ces personnes venant de France étaient honorablement connues et le projet bénéficiait de l’assistance du gouvernement marocain », nous raconte Farid Temsamani, acquéreur et président de l’association des acquéreurs. Oui mais « il y a eu des retards de la part des sous-traitants dès le départ, le promoteur ne devait pas être habitué à ce qui se passe au Maroc », imagine Farid Temsamani. Alors le duo Crenn-Hennessy a mis la clef sous la porte, et l’entreprise immobilière a été reprise en 2011 par l’équipe Paclot-Boisson.
Avec quatre années de retard, aujourd’hui, certains commencent à se faire livrer (120 pour le moment sur les 800 prévus, d’après les chiffres avancés par cet acquéreur qui vit sur place) mais le promoteur refuse toujours de leur délivrer le titre de propriété : « Ils sont obligés de rembourser leur prêt pour des maisons qu’ils ne possèdent pas vraiment », s’attriste notre interlocuteur.
Malfaçons
Et les déboires ne s’arrêtent pas là : « Quand j’ai emménagé, l’eau ne sortait pas du robinet. J’ai du refaire toute la plomberie. C’était inhabitable », nous explique Allal Boussata, un MRE installé aux Pays-Bas, qui regrette aussi d’avoir perdu six mètres carrés entre les dessins du plan et son appartement à Al Irfane 1. C’est un classique maintenant bien connu de la vente sur plan au Maroc : les différences (plus ou moins importantes selon les cas) entre les logements proposés sur les plaquettes et ceux finalement livrés. Pour le haut de gamme, certains propriétaires déplorent le manque de qualité. « Dans toute la rangée, il n’y a pas une personne qui n’a pas fait de travaux en arrivant », nous assure la propriétaire d’une villa de Bouskoura. Pour l’économique, des propriétaires parlent de logements inhabitables.
La loi Vefa pas respectée : absence d’indemnités
En cas de retard de livraison, les acquéreurs cherchent à être indemnisés, comme la plupart des contrats de vente le prévoient. Mais très peu arrivent à leurs fins, à en croire l’ensemble des témoignages recueillis. Quelques fois, le promoteur accepte alors de transformer cette dette en nature, avec un ventilateur et une machine à laver, comme cela s’est fait à Bouskoura sur le projet de Prestigia, filiale luxe d’Addoha, ou bien avec la construction d’un garage sur le projet Samanah.
C’est le cœur de la bataille que mène l’association Acia, qui défend les acquéreurs du projet Jardins de Moulaya à Saïdia, mené par General firm of Morocco, filiale marocaine de Fadesa rachetée en 2007 à 50 % par Addoha. Des appartements attendus pour 2009 (commandés en 2006) n’ont toujours pas été livrés à ce jour. Face au retard, l’association a décroché en 2012 un premier protocole d’accord avec le groupe d’Anas Sefrioui. Le document prévoit des indemnités de 1 % par mois de retard à partir de cette date. Mais alors que les premières personnes commencent à peine à signer les compromis de vente (sans pour autant recevoir les clefs de leurs biens), les pénalités restent aux abonnées absentes.
Désespérés d’attendre, certains ne souhaitent maintenant qu’une seule chose : se désister. Mais là aussi, le combat pour récupérer l’argent engagé est difficile. A ce jour, quatre personnes ont été remboursées sur les six prévues par le protocole de mai 2015, d’après la version d’Acia, réfutée par Addoha.
Trop peur pour porter plainte
Très peu de personnes ont recours à la justice. Monsieur Lasri en fait partie. Alors qu’il attendait d’être convoqué pour récupérer sa villa de Bouskoura pour laquelle il avait émis des réserves (décalages entre les plans et la réalité lors de la visite, que le promoteur s’engage à rectifier avant la livraison dans un délai de trois mois en général), il aurait appris d’un futur voisin que sa maison était habitée. Le promoteur l’aurait revendue à un autre acquéreur. « Ils ont vendu ma maison avec une plus value de 200 000 dirhams. Si on veut notre argent, il faut signer un désistement et céder 10 % de la valeur du bien », nous explique l’acquéreur. L’affaire serait toujours en cours, d’après ce qu’il nous raconte. Hassan Ghallab, directeur du complexe de Bouskoura, nous affirme ne pas être au courant de cette affaire. La menace de revente serait parfois utilisée comme moyen de pression pour faire signer les acquéreurs alors qu’ils ne sont pas totalement satisfaits du bien.
A en croire certains, s’ils n’osent pas aller devant les tribunaux, c’est par peur des « représailles », un terme qui revient souvent à l’écoute des témoignages. « On a peur pour nos familles », sort même de manière surprenante l’un d’entre eux.
Tentative de corruption des associations d’acquéreurs ?
Parfois, les victimes se montent en association pour défendre leurs intérêts. Mais là aussi les promoteurs semblent se croire permis beaucoup de choses. Des accusations de corruption pèsent sur les associations défendant le projet Prestigia de Bouskoura et le projet des Jardins de Moulaya. Quelques acquéreurs accusent les dirigeants d’association d’être les seuls à recevoir les indemnités. Youssef, un acquéreur des Jardins de Moulaya, accuse, avec une poignée d’autres, l’association Acia de complicité avec Addoha, même s’il avoue ne pas détenir de preuves. De son côté, la secrétaire de l’association Dalila Halli dément, en reconnaissant avoir interdit une manifestation qu’ils voulaient organiser à Paris au dernier moment, mais pour « calmer » les membres et ainsi obtenir des garanties du promoteur.
A Bouskoura, Rabie Errahaoui n’a pas de preuve non plus mais parle de « trahison » des anciens de l’association : « On a compris qu’il y a eu un deal entre le promoteur et ces gens. Ils ont pu quitter le projet sans payer les pénalités de désistement, en échange d’enterrer l’association ». Dans les deux cas, nous n’avons pas eu de preuves des accusations entre les mains.
Problèmes de communication
Quand il y a un changement d’actionnariat au sein du promoteur, les acquéreurs se retrouvent souvent sans aucune nouvelle, et perdent les peu d’interlocuteurs auxquels ils avaient accès. C’est le cas sur le projet Samanah ou bien à la ville de Tamesna avec du changement à la tête de General Contractors Maroc (GCM). Mais sans en arriver là, de manière générale, les (futurs) propriétaires regrettent tous le manque de communication. « Ils font la sourde oreille », nous assure Allal Boussata qui avait réservé un appartement à deux façades et s’est retrouvé avec un ne possédant qu’une seule façade et sans accès à l’eau. « Si on peut tolérer des retards de livraison, c’est une tradition dans le secteur, ce qui est grave et intolérable, c’est l’absence d’information claire et précise pour rassurer les clients qui attendent », regrette un acquéreur s’exprimant sur la page Facebook dédiée au projet Riad M’diq d’Alliances.
Il semble que la prise de contact est surtout suspendue aux échéances des événements publics. Alors que des acquéreurs des Jardins de Moulaya prévoyaient de faire grand bruit au salon Smap immo de Paris de mai dernier, Addoha a calmé le jeu, les responsables ont accepté de rencontrer les mécontents. Mais « depuis cet événement, c’est le silence radio », nous explique Dalila Halli mi-juillet, qui précise qu’il lui est dit depuis des semaines que rien ne peut être fait tant que « monsieur Sefrioui est en Afrique avec la délégation royale ». Addoha par la voix de son service communication, nous livre une toute autre version : le protocole d’accord « est respecté » et « le promoteur est en contact permanent » avec l’association Acia. Mais aussi bien l’association que le promoteur nous donnent la même information : c’est bien Dalila Halli qui sert de messager entre Addoha et ses clients.
Promettre de ne pas écorner l’image de la marque
Sur ce même projet, les protocoles d’accord signés par Saâd Sefrioui lui-même stipulent d’ailleurs bien que : « L’association Acia et ses adhérents s’engagent à cesser immédiatement et à renoncer irrévocablement à entreprendre ou faire entreprendre toute action de quelque nature et à quelque époque que ce soit visant directement ou indirectement à porter atteinte à l’image et / ou aux intérêts d’Urbatlas, sa maison mère et ses actionnaires, sous réserve du respect des engagements ».
Résidant en France, Dalila Halli doit elle-même se rendre sur place pour assurer ce qu’elle appelle « le service après-vente d’Addoha ». « Nous les avons rencontrés le 20 juillet. Cela avance un peu, mais lentement. Mais j’ai 120 adhérents derrière moi, nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout », nous assure celle qui défend les acquéreurs cas par cas comme des membres de sa famille. Prochaine étape : constituer une association regroupant l’ensemble des victimes de tous les promoteurs agissant au Maroc.
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer