Nadia Bezad: «Pour endiguer le Sida, il faut des cours de santé sexuelle»

Stratégie nationale, sensibilisation, chiffres, image de la maladie : où se situe le Maroc en matière de lutte contre le sida ?

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La prévalence du sida au Maroc est de 0,11 %. Mais le taux est beaucoup plus élevé dans certaines régions comme l’Oriental ou vers Nador et au sein des populations à risque: drogués par intraveineuse, prostituées… A l’occasion des vingt ans de l’Organisation panafricaine de lutte contre le sida (OPALS) au Maroc, Telquel.ma s’est entretenu avec sa présidente Nadia Bezad, qui revient sur la stratégie nationale en la matière, la résistance au sein de l’éducation ou les fausses idées reçues sur la maladie qui persistent encore aujourd’hui.

Telquel.ma : La région Mena est la seule région où la courbe de prévalence augmente, et le Maroc ne fait pas exception, pourquoi ?

Nadia Bezad : Sauf au Maroc il n’y a pas de véritables programmes de lutte contre le sida, hormis quelques initiatives lors de la journée mondiale. C’est encore tabou, les gens n’en parlent pas. La couverture des rétroviraux est très faible : seulement 15 % des malades sont traités. Il n’y a pas de volonté politique parce que ce n’est pas une priorité nationale. Mais le Maroc est très en avance par rapport aux autres. En revanche, la courbe augmente aussi, du fait du nombre de dépistages qui est de plus en plus important.

Que pensez-vous de la stratégie du Maroc dans la lutte contre le sida ?

Dès la découverte du premier cas, le Maroc a pris en compte le sujet, a eu le courage d’en parler et de briser des tabous. Et sur le papier, le plan stratégique est excellent. Les dépistages et les traitements sont gratuits. Sur le plan médical nous sommes bons, côté information et côté social nous sommes faibles et au niveau de l’éducation, nous sommes nuls.

Qu’est-ce qui bloque alors ?

Le ministère de la Santé fait beaucoup de choses (et nous consulte) mais les autres départements restent absents, comme celui de l’Education par exemple. Certains pays subsahariens qui ont moins de moyens que nous ont réussi à réduire la prévalence juste en introduisant l’éducation sexuelle dans les écoles. Le cours de santé sexuelle et reproductive est au programme mais sur le terrain beaucoup le zappent, certains directeurs d’établissement nous ferment carrément la porte au nez quand on vient leur en parler. Ils ne se rendent pas compte de leur responsabilité, qu’ils ont une génération ignorante entre leurs mains qui court des risques mais qu’ils peuvent encore sauver. Je suis choquée par ce silence de l’Education.

Qu’est-ce que vous proposez alors ?

Rien qu’une minute chaque jour pour rappeler aux jeunes les principes de la santé sexuelle et reproductive serait utile. Cela coûterait zéro dirham. Le ministère de l’Economie et des finances devrait faire le calcul du coût d’un malade de son dépistage à son décès et voir la différence.

L’image que les Marocains ont de la maladie a-t-elle changé ?

Oui. Avant, ils pensaient qu’on ne pouvait pas toucher la personne contaminée. Aujourd’hui, dans nos centres par exemple, tout le monde se côtoie : le barbu, l’homosexuel, la travailleuse du sexe. On a beaucoup travaillé dessus et c’est entré dans les mœurs. Mais dans le milieu professionnel il y a toujours un rejet, certaines personnes sont renvoyées. L’autre jour, une femme que l’on suit a récupéré son fils à l’école, où il était tombé et s’était écorché. Elle a eu le malheur de leur dire qu’il était malade. Il a été renvoyé.

Concrètement, que fait l’OPALS ?

Nous avons des programmes de prévention spécifiques à différentes populations : les travailleuses du sexe, les homosexuels, les droguées par intraveineuse, les jeunes, les réfugiés. On en prend une poignée, on les forme et ils deviennent éducateurs auprès de la population et nous ramènent de nouvelles personnes au centre. Nous avons vingt centres. On y fait les dépistages. Une fois que la personne est dépistée séropositive, on ne la lâche pas dans la nature, on l’accompagne à l’hôpital pour aller chercher son traitement et on assure son éducation thérapeutique : importance de ne pas arrêter, etc.

Il n’y a pas que le volet sanitaire mais aussi psychologique, social…

Oui un psychologue les suit. On assure aussi un accompagnement social. Dans un couple, la maladie entraîne parfois le divorce. Mais il y a aussi l’aide juridique puisque quand une personne annonce qu’elle est séropositive, elle est parfois renvoyée de son travail donc des avocats bénévoles les aident à se défendre. En ce moment par exemple, nous avons cinq dossiers devant les tribunaux.

Comment se passe les dépistages dans les zones rurales? Y a-t-il des réticences?

La section locale choisit le terrain parmi une zone non couverte, et l’occasion. Ensuite on recrute les bénévoles au sein de la population pour prévenir de notre arrivée. Donc quand nous arrivons, nous sommes attendus. On vient avec l’unité mobile et la file d’attente est très longue.

Etes-vous pour la dépénalisation de l’homosexualité pour des raisons sanitaires ?

Il faut être réaliste, notre contexte ne nous le permet pas. Il ne faut pas bousculer les choses. Et le travail de sensibilisation et de suivi se fait déjà bien auprès de ces populations.

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