Dans son laboratoire de biotechnologie de l’Université Ben Abdellah de Fès, le professeur Adnane Remmal dirige une équipe d’enseignants-chercheurs et d’étudiants depuis près de trente ans. Trente ans que les rats de laboratoire testent sur des souris les résultats de leurs expériences les plus concluantes. Trente ans que les éprouvettes tintent à l’unisson pour développer une alternative aux antibiotiques. La persévérance de l’équipe a été récompensée le 13 mai, à Skhirat, par la remise du Prix de l’innovation pour l’Afrique de l’African Innovation Fondation (AIF), parmi 925 candidats.
Des antibiotiques dans l’assiette
Aux origines de ce long processus de recherche, un constat simple. « Quand je suis revenu au Maroc en 1988, mes collègues pharmaciens et médecins me disaient : “on réalise des prouesses chirurgicales, des opérations à cœur ouvert compliquées par exemple, mais on perd les patients à cause d’infections bégnines sur lesquelles les antibiotiques n’ont plus de prise à cause d’une trop forte résistance des malades” », se souvient Adnane Remmal. Et d’expliquer que « notre corps contient dix fois plus de bactéries que de cellules vitales. Nous avons besoin de cette flore pour l’équilibre de notre système. Mais à force de prendre des antibiotiques, les bactéries deviennent plus résistantes et il devient de plus en plus compliqué de traiter les infections. » Il suffirait donc de limiter sa prise d’antibiotiques ? Pas si évident, car les antibiotiques sont souvent là où on ne les attend pas. Dans l’assiette. Les éleveurs ont pris l’habitude de mélanger des antibiotiques à l’alimentation de leurs bêtes, pour leurs vertus de promoteur de croissance. « Cette prise généralisée d’antibiotiques augmente la pression sur la flore bactériologique des animaux, et rend leurs bactéries plus résistantes aux traitements », explique le professeur. Ces bactéries résistantes sont transmises de l’animal à l’homme, par la viande. Une cuisse de poulet, une brochette de bœuf. Les jeunes enfants et les femmes qui viennent d’accoucher sont les premières victimes d’infections sur lesquelles les antibiotiques n’ont plus ou peu d’effet.
Pas automatiques, les antibiotiques
L’Union européenne a pris des mesures, en 2006, pour interdire les antibiotiques dans l’alimentation médicamenteuse des animaux d’élevage. Mais « les produits de substitution étaient plus chers et moins efficaces, donc certains éleveurs ont continué à se procurer des ordonnances d’antibiotiques, » précise le professeur Remmal. Ses recherches se sont donc focalisées sur le développement d’une solution plus économique et au moins aussi efficace que les antibiotiques. Le remède était là, dans la nature. « Les plantes produisent naturellement des substances phénoliques pour se prémunir des infections », explique l’universitaire. Son équipe n’est alors pas la première à avoir l’idée d’utiliser les huiles essentielles de ces substances naturelles pour remplacer les antibiotiques. Mais les molécules sont très instables. Elles s’évaporent rapidement rendant impossible leur administration comme médicament. « En 2012, on a réussi à fixer ces molécules sur de l’argile. De cette manière, elles ne peuvent plus s’évaporer. Une fois ingurgitée par les animaux, l’argile se dissout et libère les huiles essentielles. » Fin 2012, plusieurs brevets sont déposés à travers le monde pour protéger cette découverte. Commence alors une phase de test auprès des éleveurs marocains. « C’était un vrai challenge », commente Adnane Remmal. « Chez les agriculteurs, sur deux hangars, on proposait d’administrer notre produit dans l’un et de poursuivre l’alimentation classique dans l’autre pour avoir un élément de comparaison. Il fallait négocier en promettant des remboursements si les résultats n’étaient pas concluants. » Plus que concluants, les résultats ont été convaincants. « Tous les éleveurs chez qui nous avons effectué ces tests sont devenus des acheteurs », raconte le chercheur qui, sous sa blouse de laborantin, enfile une veste de commercial.
Des labos universitaires à l’unité de production pharmaceutique
« Je suis chercheur, je développe à l’université des produits pour l’industrie. Mais entre le monde universitaire et celui de l’industrie, il y a un gap » constate Adnane Remmal. Depuis 2003, l’ancien ministre de l’Industrie Ahmed Réda Chami fait office de business angel pour la petite équipe du professeur de Fès. Ensemble, ils ont créé Advanced Scientific Developments, une société chargée de déposer et maintenir en vie les brevets issus des découvertes du chercheur. « C’est quelque chose que l’université ne peut pas faire, idem pour la production de nos résultats. Après un premier tour de table, on a levé suffisamment de fonds pour créer LIPAV, une petite unité de production et de distribution de nos produits. » Grâce à ses tests au contact des éleveurs, la société bénéficie d’un réseau grandissant d’acheteurs au Maroc et en Afrique du Nord. « Les bénéfices permettent de continuer à financer la recherche et attribuer des bourses aux étudiants », précise le professeur. « Un nouveau tour de table nous a permis de créer une structure commerciale et d’augmenter la production, car nous avons déjà des commandes en Afrique, au Canada et en France. Le prix de l’AIF nous a permis de rencontrer de nombreux investisseurs et d’industriels qui souhaitent être les ambassadeurs de notre produit dans leur pays ».
La revanche
En plus du chèque de 100 000 dollars, le prix de l’innovation pour l’Afrique permet de se faire connaître pour se développer à l’international. Mais Adnane Remmal reste concentré sur les éleveurs marocains. La confiance s’est installée et permet de se rendre compte de leur besoin. « Lorsqu’ils ont vu les résultats de notre premier produit, les éleveurs ont commencé à nous faire part d’autres problèmes. Ils nous disent “Faites-nous aussi un produit pour les bovins, on aurait besoin de produits pour assainir l’eau, et puis aussi des produits pour remplacer les pesticides” », raconte le professeur qui a déjà abouti à des solutions pour répondre à ces attentes. Lorsqu’il regarde par-dessus son épaule pour regarder le chemin parcouru depuis qu’il est revenu au Maroc l’année de ses 26 ans, Adnane Remmal est fier. « Je suis rentré au Maroc, il y a près de 30 ans, pour planter une petite graine. Aujourd’hui, la graine a pris la forme d’un petit arbre qui commence à porter ses fruits. » Fier aussi de ce prix de l’AIF, car parmi les 925 candidats, tous sont d’origine africaine, mais tous ne résident pas en Afrique. « Je suis fier, car pendant très longtemps, j’ai été frustré par le fait que les autorités accordent beaucoup d’intérêt et de moyens aux chercheurs marocains qui sont à l’étranger. Beaucoup moins à ceux sur place. On est juste bons à donner des cours. Lors de colloques, c’est à peine si on est invités comme observateurs. Ce prix, c’est une revanche pour tous les chercheurs qui galèrent au Maroc. Une partie de l’intérêt porté aux chercheurs à l’étranger devrait être reporté sur ceux qui sont sur place. Parce qu’ici au Maroc, on ne copie pas, on crée. Et ce qu’on crée, c’est exportable vers l’Europe, les États-Unis » se révolte Adane Remmal. Pour preuve, le premier médicament marocain, issu de la recherche marocaine et développé par un laboratoire pharmaceutique marocain fera son apparition en pharmacie en 2016-2017, après la phase de tests cliniques en cours, et dont Adane Remmal est à l’origine.
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