Quand Fatima Azzahra décide enfin d’entrer dans le salon pour nous rencontrer, la pièce s’illumine. Un comble pour cette jeune fille qui ne peut s’exposer à la lumière du jour. Et pourtant, sa peau tachetée n’enlève rien à sa beauté et son sourire timide. Si elle est peu bavarde, son père El Habib, qui a changé de vie pour celle qu’il protège comme un trésor, n’a aucun mal à nous décrire son quotidien.
Fatima Azzahra, aujourd’hui âgée de 23 ans, est atteinte de la Xeroderma Pigmentosum. Les personnes qui en sont atteintes contractent des cancers de la peau et des yeux s’ils s’exposent aux UV.
Une vie nocturne
C’est à deux ans qu’a été diagnostiquée la maladie de Fatima Azzahra, qui commençait alors à avoir des tâches sur la peau. « Au début, quand le médecin me l’a dit, je ne l’ai pas cru. Un autre me l’a confirmé mais je n’ai pas tout de suite pris conscience de la gravité de la maladie », nous explique El Habib. Dans un premier temps, il a donc décidé de scolariser sa fille, qui se rendait tous les jours à l’école, bien que protégée par de l’écran total. Mais quand Fatima Azzahra est arrivée au CM2 et que son père voyait les tâches se multiplier, il a décidé de changer de vie.
Il a alors quitté son travail pour se consacrer à sa fille, faute de pouvoir la scolariser dans une école spécialisée, comme cela existe en Europe. Fatima Azzahra ne vit plus le jour. A partir de 20 heures, elle a enfin le droit de sortir de chez elle. Après quelques heures passées avec ses amis, elle regagne la maison, où elle dîne seule. Internet et la télévision l’occupent ensuite jusqu’à 5 heures du matin, heure à laquelle elle a l’habitude de se coucher. L’appartement, dont les fenêtres sont couvertes de films protecteurs filtrant les UV, est alors très calme, les uns vivant le jour et « la princesse de la maison », comme l’appelle son père, la nuit.
Une peau à surveiller de près
Toute la vie familiale est en effet organisée autour d’elle. « On ne peut jamais aller à la plage. Sinon elle me dit ‘c’est interdit pour moi donc pour vous aussi’ », nous explique par exemple El Habib qui qualifie son activité de « psychologue ». « Parfois il faut la secouer pour lui faire oublier la maladie et la traiter comme tout le monde », nous explique son père. D’un autre côté, il sait lui procurer un peu de bonheur.
Ce père de famille serait prêt à tout pour le sourire de sa fille, qu’il ne cesse de décrire comme étant sa « moitié ». Il a par exemple campé pendant des heures devant le Hyatt Regency de Casablanca, rien que pour qu’elle puisse se prendre en photo avec son idole, la chanteuse libanaise Amal Hijazi. D’ailleurs, Fatima Azzahra esquisse son plus beau sourire au moment de nous montrer le fameux cliché.
Fatima Azzahra et sa famille surveillent sans cesse sa peau. Quand certaines tâches deviennent noires : cri d’alarme, tumeur à l’horizon, opération en urgence. La jeune fille a ainsi déjà subi une quarantaine d’interventions chirurgicales. Les tumeurs touchent en premier le nez et les lèvres.
« Elle n’a aucun objectif dans la vie »
Si on les appelle « les enfants de la lune » c’est que leur espérance de vie est très limitée. El Habib Ghazaoui, vice-président de l’association de solidarité avec les enfants de la lune, a connu plusieurs enfants maintenant décédés. En général, les parents avaient fait le choix d’offrir une vie « normale » à leurs enfants, jusqu’à ce que la mort les emporte. « On connaît quelqu’un qui a eu son bac, mais il a perdu la vie après ». Lui a préféré placer sa fille dans un cocon, conscient d’être impuissant face à ce qu’il appelle « l’inévitable ».
L’espérance de vie des personnes atteintes de Xeroderma Pigmentosum, lorsqu’elles ne sont pas protégées du soleil, est de moins de 20 ans, en raison du développement de multiples cancers. En suivant des mesures très rigoureuses permettant d’éviter complètement les UV, les personnes atteintes peuvent vivre plus longtemps, mais on manque de recul pour avoir des données précises.
« C’est la routine », nous explique timidement Fatima Azzahra lorsqu’on lui demande de nous décrire ses activités quotidiennes. Elle avoue ne pas réussir à se projeter dans l’avenir, « elle n’a aucun rêve », commente tristement son père. Toute menue, la jeune fille fait preuve d’une grande maturité, mais « quand elle était petite, elle a eu beaucoup de mal à accepter. Elle se frottait contre sa mère pour avoir la même peau qu’elle », se souvient El Habib.
Plus de 20 000 dirhams de frais médicaux par an
300 enfants atteints de la maladie sont recensés au Maroc, mais il doit en exister beaucoup plus. Comme la consanguinité est parfois à l’origine de la maladie, celle-ci a une prévalence de 1 sur cent mille dans les pays arabes, contre 1 sur un million dans le reste du monde. Entre masque pour sortir, écran total dont l’application est à renouveler toutes les heures et opérations, les coûts sont très difficiles à supporter, 20 000 dirhams par an environ. Pourtant, l’Etat ne prend rien de tout cela en charge. « Certaines familles ne peuvent pas gérer », s’alarme El Habib.
Alors,des associations mènent de temps en temps des collectes. Le 23 mai prochain les deux associations Lueur d’espoir Casablanca et le Rotaract Iscae organisent un gala de charité au Sheraton de Casablanca en faveur de ces enfants malades. Les billets sont vendus à 500 dirhams (300 pour les étudiants) et l’ensemble des gains sera reversé à l’association des enfants de la lune.
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