Grave crise au Samu Social de Casablanca

Créé en 2005 pour apporter une aide d’urgence aux personnes en situation d’exclusion et de vulnérabilité, le Samu Social de Casablanca, aujourd’hui privé de ressources, est à bout de souffle. Les salariés se mobilisent contre les menaces de fermeture. Reportage.

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Le Samu Social Casablanca - Crédit : Adeline Bailleul

Il est environ 10 heures quand une vingtaine d’employés du Samu Social Casablanca se réunissent pour manifester leur colère dans le hall du siège de l’institution, situé au quartier Bourgogne. Loin de se résumer à une crise passagère, cette manifestation quotidienne témoigne d’un véritable sentiment d’abandon ressenti depuis plusieurs années par ceux-là même qui portent secours aux personnes en situation de grande précarité et d’exclusion sociale à Casablanca, principalement les femmes et les enfants de la rue.

« Nous sommes payés en retard ou pas du tout pendant plusieurs mois», déplore Hichem El Madani, assistant social. Depuis maintenant trois mois, l’ensemble des salariés du Samu Social n’ont en effet par reçu leur salaire. Une crise qui fait écho à celle de 2013, où l’ensemble des 24 salariés s’était retrouvés exactement dans la même situation. L’institution est une nouvelle fois à bout de souffle et dans l’incapacité de financer ses opérations. Faute de moyen, les maraudes quotidiennes sont aujourd’hui à l’arrêt, tout comme le soutien à l’hospitalisation.

Des incertitudes planent sur l’avenir du Samu Social

« Le coeur de notre travail c’est la rue, au contact avec les bénéficiaires. Chaque jour il y a des enfants qui viennent de la rue », témoigne une salariée du Samu Social qui a souhaité rester anonyme. « Aujourd’hui nous ne pouvons plus travailler dans la rue, il n’y a plus d’intervention d’urgence, nous rencontrons de grandes difficultés pour acheter la plupart des médicaments », ajoute Hichem El Madani.

Pour mieux comprendre cette situation, il faut se replonger en 2013, année depuis laquelle le Samu Social opère sans bureau administratif suite à la démission du bureau de l’association, auparavant présidé par l’actuel ministre de la Santé, El Houssain El Ouardi. Le Samu Social a pu cependant garder la tête hors de l’eau avec la nomination d’un administrateur judiciaire désigné par le tribunal sur requête de la préfecture de Casa-Anfa, avant de replonger dans une nouvelle crise suite à l’expiration du mandat de l’administrateur en question il y a quelques mois. Le Samu Social se retrouve désormais dans une situation pour le moins délicate, sans bureau exécutif, ni représentant légal et donc dans l’impossibilité de débloquer les financements ou de recourir à des bailleurs de fonds. Pour tous, l’interrogation demeure quant aux motifs qui ont empêché la tenue de la dernière Assemblée Générale.

« A chaque fois qu’il y a un changement ministériel, la stratégie change et cela influe sur notre travail. Jusque là c’est flou, on ne connaît pas la vision de ce ministère ni pourquoi l’Assemblée Générale n’a pas été tenue », se désole une employée du Samu Social qui a assisté aux départs de nombreux salariés ces dernières années. « Nos revendications sont claires, nous voulons qu’ils accélèrent le paiement des salaires des employés du centre, ce sont nos droits, puis la régularisation de notre statut juridique pour que notre vision du futur soit plus claire et que nous puissions mener à bien nos missions », explique Hichem El Madani.

Les salariés du Samu Social manifeste pour leurs droits - Crédit : Adeline Bailleul
Les salariés du Samu Social manifeste pour leurs droits – Crédit : Adeline Bailleul

La Samu Social qui compte une équipe mobile d’aide, un centre d’hébergement d’urgence et des relais se retrouve désormais sous la menace d’une fermeture, faute de ressources. Sans compter que cette crise a des conséquences directes sur les personnes en situation de rue à Casablanca et face auxquelles les employés du Samu Social se sentent désœuvrés. « Les bénéficiaires qui viennent chez nous ont besoin d’un accompagnement, autrefois on pouvait les accompagner vers les hôpitaux mais aujourd’hui ils sont obligés d’y aller seul et ils reviennent vers nous sans que personne ne les ai pris en charge à l’hôpital », souligne Meriem Mezouar, infirmière du Samu Social. A l’heure actuelle, le centre d’hébergement qui dispose d’une capacité de 32 lits consacrés aux enfants, aux mères célibataires ainsi qu’aux femmes en situation difficile, accueille 20 femmes et 12 garçons. Pour beaucoup, le Samu Social représente l’unique alternative pour sortir de la rue. « Il y a des femmes ici qui peuvent accoucher à tout moment mais nous n’avons pas de quoi les amener à l’hôpital. Les bébés également ont besoin de lait mais nous ne pouvons pas en acheter. Les bénéficiaires n’ont rien à manger ici », se désole la jeune infirmière.

Un rôle d’alerte fondamental sur la précarité et l’exclusion

Aujourd’hui impuissant, le personnel du Samu Social joue pourtant un rôle d’alerte fondamental sur les phénomènes de la grande vulnérabilité et de l’exclusion sociale. « Cet hiver des vieillards sont morts, il y a plusieurs cas, dont l’un d’eux qui se trouvait à proximité du Samu Social. Sans oublier les mères célibataires qui vivent dans des lieux abandonnés qu’on appelle des squats. A ma connaissance, il y a eu deux cas de femmes qui ont accouché dans ces squats sans assistance médicale. Il y a aussi le phénomène des jeunes filles âgées de 9 à 11 ans, qui vivent dans la rue, qui consomment des drogues et du douliou (diluant), c’est très nouveau à Casablanca et ça se généralise au Maroc », confie Hichem El Madani.

Le Samu Social de Casablanca alerte également sur une augmentation du nombre d’enfants vivant dans la rue, plus particulièrement dans l’arrondissement de Sidi Belyout et de la gare routière Ouled Ziane. Par leur présence régulière lors des maraudes, les équipes mobiles pouvaient tisser des liens de confiance, répondre aux urgences médicales, et proposer aux plus vulnérables un hébergement temporaire. Aujourd’hui, les voitures sont toutes à l’arrêt, sagement alignées devant le siège de l’Institut, faute de pouvoir payer le diesel. « Pour les garçons que nous avons ici au centre, certain d’entre eux ont eu la possibilité d’être reçus dans d’autres associations mais nous n’avons pas de quoi les amener, à tel point que certains d’entre eux ne veulent plus rester chez nous et qu’ils repartent dans la rue », indique Meriem Mezouar.

« Si la question de notre statut légal n’est pas résolu le plus tôt possible, nous sommes sous la menace d’être mis à la rue et si nous sommes affectés, les bénéficiaires le sont encore plus », alerte Hichem El Madani.

Un reportage réalisé en collaboration avec Adeline Bailleul

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