A Casablanca il y a 500 000 ans, des hippopotames et des hommes

Les racines de Casablanca remontent bien plus loin que l'antique cité d'Anfa. Les Casablancais l'ignorent souvent, mais sous leurs pieds reposent des sites préhistoriques uniques en Afrique du Nord. Reportage.

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Hassan Caid Rha, chercheur, nous guide dans les méandres des grottes - Crédit : Adeline Bailleul

Située à quelques encablures de la fourrière Hay Hassani, le site de la Carrière Thomas I a permis la découverte des plus anciens témoignages d’activité humaine retrouvés au Maroc. Hassan Caïd Rha, chercheur à Casablanca, est notre guide du jour. Passionné et fin connaisseur, il dessine sous nos yeux une région autrefois peuplé de rhinocéros, de gazelles et d’hippopotames. Plus surprenant encore, 50% des restes humains d’Homo erectus ou l’Homme érigé, l’un de nos lointains ancêtres, découverts dans toute l’Afrique du Nord, proviennent des seuls sites de Casablanca. C’est ici même, au cœur de ce gigantesque trou béant au milieu d’une mégalopole en constante expansion, « que l’on a découvert les plus vieux restes humains du pays, datant d’au moins 600 000 ans », explique Hassan Caïd Rha qui nous conduit dans les méandres des cavités de la Carrière Thomas I.

Hassan Caid Rha, chercheur, nous guide dans les méandres des grottes - Crédit : Adeline Bailleul
Hassan Caid Rha, chercheur, nous guide dans les méandres des grottes – Crédit : Adeline Bailleul

Il était une fois le premier Casablancais

La recherche archéologique au Maroc est née au début du siècle dernier, initiée principalement par des amateurs. Bénéficiant par la suite de la coopération avec les laboratoires étrangers, notamment français, l’archéologie a connu un véritable essor au Maroc avec la création en 1985 de l’INSAP, l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine. Et très vite, les fouilles archéologiques ont permis de dresser le portrait d’une région peuplée dès les premiers temps de l’Humanité.

En 1955, le professeur Pierre Biberson fit l’étonnante découverte du premier reste humain dans la carrière de Sidi Abderrahmane. Un fragment de maxillaire (os de la mâchoire) de celui qui est désormais connu sous le nom de « l’homme de Sidi Abderrahmane », qui a au moins 300 000 ans. Puis les découvertes s’enchaînent. Un autre fragment de maxillaire fut découvert par hasard par deux lycéens dans la carrière Thomas I en 1969. Elle appartenait à un adulte de 20 à 30 ans, probablement de sexe féminin.

Plus récemment, une fouille sur le même site a permis en 2008, la découverte d’une mandibule complète d’adulte,  estimée à plus de 500 000 ans, ce qui en fait le plus ancien hominidé retrouvé au Maroc. Sur une petite corniche à l’entrée d’une cavité, Hassan nous désigne un endroit : « C’est ici que nous avons dégagé une mandibule humaine attribué à Homo rhodesiensis ».  Il s’agit d’une espèce intermédiaire entre l’Homo habilis qui sait se servir d’outils évolués et l’Homo sapiens, soit l’homme moderne, apparu il y a environ 200 000 ans. Car si les premiers habitants de Casablanca ne maîtrisaient pas encore le feu, ils savaient en revanche tailler des outils en pierre, trouvés en abondance sur le site de Carrière Thomas I. Notamment des bifaces, qui présentent des parties latérales tranchantes et une extrémité pointue, utilisées pour le dépeçage, la boucherie et la fracturation d’ossements.

biface acheuleen

Oulad Hamida I, une carrière voisine, a également révélé ses secrets avec la découverte de fragments de face et d’une dizaine de dents. Les plus anciens vestiges, une mandibule (mâchoire inférieure) et un fragment mandibulaire auraient appartenu respectivement à une femme et à un enfant et seraient âgés d’au moins 600 000 ans. Aucun reste d’enfant datant de 0,5 à 0,7 millions d’années n’avait alors encore été découvert au Maghreb.

Le dur combat pour la protection du patrimoine archéologique

« Au total, on ne compte pas moins de quatre sites archéologiques majeurs répertoriés à Casablanca », souligne Rabha Zahid, inspectrice régionale des Monuments historiques et sites de Casablanca qui a fait le déplacement pour l’occasion. Soit les sites de Sidi Abderrahmane, Ouled Hmida, Carrière Thomas et Ahl Al Oughlam.

Si peu de villes au monde peuvent s’enorgueillir d’un tel patrimoine préhistorique, celui-ci reste pourtant très largement « inexploité », déplore pour sa part Hassan Caïd Rha qui souhaite notamment voir des écoliers venir en nombre visiter les sites casablancais. «  Aujourd’hui, seuls les élèves du Lycée Lyautey font des visites organisées sur place, aucune autre école de Casablanca ne vient ici malheureusement, on les renvoie à internet ou à leurs livres scolaires pour apprendre alors que toutes ces richesses sont là, juste à côté d’eux », explique notre guide qui souhaite pouvoir mettre en valeur ces découvertes anciennes mais surtout en faire un outil potentiel de transfert des connaissances à la jeune génération.

Sans compter que chaque jour, ces sites subissent des agressions irréversibles. Depuis un siècle, de nombreux vestiges ont disparu au cours de l’exploitation des carrières. La grotte de « l’Homme de Sidi Abderrahmane »  a notamment été détruite. Le site de Sidi Abderrahmane est par ailleurs le seul à avoir fait l’objet d’un arrêté de classement par Dahir du 12 Mai 1951. « Le principal souci, que nous rencontrons par exemple à Carrière Thomas, est celui de la protection juridique », explique Rabha Zahid qui souligne qu’à ce jour le site est toujours un terrain privé.

« Sans oublier, la présence de gravats, de remblais et les décharges sauvages sur les sites », ajoute-t-elle. Malgré la situation des sites, aucun d’entre eux n’est raccordé au réseau d’eau et d’électricité. Seule la carrière Thomas est munie d’une baraque de chantier.  La présence des bidonvilles limitrophes pose cause également de sérieux problème de préservation avec le rejet des eaux usées sur les sites. « Dans ce combat, ce que nous avons gagné, c’est que cette espace soit protégé par le Plan d’aménagement de l’Agence Urbaine en tant que zone verte », se félicite Rabha Zahid: il ne peut donc être construit.

Travaux de réalisation du Parc Archéologique de Casablanca - Crédit : Adeline Bailleul
Travaux de réalisation du Parc Archéologique de Casablanca – Crédit : Adeline Bailleul

Vers une valorisation des richesses archéologiques de Casablanca

Entre urbanisation rapide et pression démographique, la question de la préservation des sites de Casablanca est un défi permanent pour Rabha Zahid. Les autorités semblent cependant avoir désormais compris l’intérêt de démocratiser cette richesse exceptionnelle avec la mise en place du Parc Archéologique de Casablanca à Sidi Abderrahmane, fruit d’un partenariat signé entre le ministère de la Culture, les pouvoirs publics locaux et la Société Casablanca Aménagement entant que maître d’ouvrage délégué.

Ce parc a pour objectif de sauvegarder le riche patrimoine archéologique de la ville en développant le tourisme culturel et la recherche scientifique autour des vestiges de notre préhistoire. « Il abritera notamment un centre d’interprétation dédiée à la préhistoire utilisant des ressources muséographiques modernes et novatrices », explique Rabha Zahid. Le parc permettra entre autres aux visiteurs de découvrir les grandes étapes de l’hominisation, la vie quotidienne des hommes préhistoriques ou encore l’évolution des climats et des paysages…

Parallèlement, les sites préhistoriques de Casablanca et sa région n’ont encore pas révélé la totalité de leurs richesses archéologiques et nécessitent des moyens pour déployer de grands chantiers de fouilles. Les recherches se poursuivent néanmoins, et au fur et à mesure, les fouilles confirment ou infirment de nombreuses hypothèses scientifiques et ainsi aident à former le puzzle de nos origines.

Reportage réalisé avec la collaboration de Adeline Bailleul

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