Jazzablanca. La poésie secrète de Anouar Brahem

Si aujourd’hui l’oud est devenu un vecteur de modernité, tant dans la musique orientale qu’occidentale, c’est sous l’influence de pionniers tels que Anouar Brahem. 

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Anouar Brahem en conférence de presse à Casablanca - Crédit : Adeline Bailleul

A la croisée du jazz, de la musique classique, de la tradition orientale ou encore du new age, il est difficile de cloisonner la création artistique de Anouar Brahem, tant il est pris entre respect des traditions et désir d’innovation. L’oudiste, dont le talent a séduit le prestigieux label allemand ECM, envoûte et cultive le mystère. Musicien de formation classique, il a été l’un des premiers à insuffler de la musique orientale dans le jazz, ou l’inverse, improvisant avec son oud.

Du oud traditionnel au jazz

A l’occasion de la 10e édition de Jazzablanca, l’artiste tunisien revient sur sa relation privilégiée avec le jazz :

Je ne me considère pas comme un musicien de jazz parce que je n’ai pas eu de formation de jazz, je suis un joueur de oud ! Quand j’étais jeune je n’avais pas d’autre ambition que de devenir un bon interprète de la tradition.

Puis, vint « l’envie folle » de jouer avec des musiciens de jazz, motivant ainsi son départ pour quatre ans à Paris en 1981. Il y reste quatre années durant lesquelles il compose beaucoup, notamment pour le cinéma et le théâtre tunisien, collabore avec le danseur et chorégraphe Maurice Béjart pour son ballet Thallasa Mare Nostrum ainsi que Gabriel Yared en tant que soliste pour la musique du film de Costa Gavras Hanna K. « Mes disques se sont retrouvés dans les rayons jazz de la Fnac, alors qu’au début ils étaient classés dans World », se rappelle-t-il. Mélancolie méditative, lignes ondoyantes, poésie secrète, la relation de Anouar Brahem avec le jazz est aujourd’hui devenu une évidence.

« J’aime bien être adopté par le jazz, il y a un foisonnement de beaucoup de choses. Lui-même, le jazz n’est pas cette chose définie, il y a tellement d’expressions différentes, dans ce sens c’est aussi un champ d’expérimentation très large. J’aime bien l’idée de faire partie de ce monde », confie-t-il.

Qu’il puise son inspiration dans ses impressions immédiates ou dans ses souvenirs, Anouar Brahem tisse ses compositions au gré de son imagination. Son, silence et musique communient et c’est peut-être en cela que réside le mystère de ses créations :

Quand je compose je n’essaie pas de faire autre chose que de laisser libre cours à mon imagination, mon inspiration.

Tunisie : entre révolution et création

Depuis la parution il y a cinq ans de  l’album The Astounding Eyes of Rita, le grand maître tunisien de l’oud s’était fait particulièrement discret. Avec son album Souvenance composé pendant la révolution tunisienne, Anouar Brahem signe en 2014 un retour remarqué. Un double album qui sonne à la fois comme l’audacieuse synthèse mélodique de 15 années d’expérimentation musicale et une réponse toute personnelle aux évènements qui ont secoué sa Tunisie natale. Deux CDs dans un étui avec pour seule illustration une rue déserte et la silhouette d’un homme en fuite qui tente de se protéger des gaz lacrymogènes. Une scène de révolution à Tunis qui est entrée dans la mémoire collective.

« J’ai composé ces pièces pendant ces dernières années où le pays a vécu des choses très importantes sur le plan politique et social et qui d’ailleurs ont touché toute la région, émotionnellement c’était très fort et très important pour moi », explique-t-il.

« On vivait sous un régime où les gens ne pouvaient pas respirer mais les choses ne sont pas évidentes, ces périodes de transition passent souvent par des périodes un peu chaotique, nous on a eu de la chance pour l’instant en Tunisie, nous avons réussi à colmater les brèches, à faire en sorte que le navire ne sombre pas, à rejoindre comme ça un rivage, trouver une situation politique consensuelle », précise-t-il.

Pochette du dernier album de Anouar Brahem intitulé "Souvenance" - Crédit : Edition of Contemporary Music
Illustration du dernier album de Anouar Brahem intitulé « Souvenance » – Crédit : Edition of Contemporary Music

Avec Souvenance, Anouar Brahem s’essaie aujourd’hui à l’épure orchestrale, avec le piano de François Couturier, la basse électrique du Suédois Björn Meyer, la clarinette basse de l’Allemand Klaus Gesing et l’Orchestra Della Svizzera Italiana, sous la direction du chef d’orchestre italien Pietro Mianiti, utilisé ici comme un cinquième instrument. Une orchestration entre-deux, jazz et classique, puissance et légèreté. Un envoûtement oscillant sans cesse entre pudeur et sensualité. Inclassable.

Avec la contribution de A. Bailleul et W. Charrad

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