Le Tribunal arbitral du sport (TAS) a rendu public, le jeudi 2 avril, sa décision sur la suspension du Maroc pour les deux prochaines éditions de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). L’organisme a annulé les sanctions sportives contre le Maroc (suspension pour les CAN 2017 et 2019). La cause marocaine a été défendue par les équipes du cabinet d’avocat « franco-marocain » Jeantet. Telquel.ma s’est entretenu avec Laurent Sablé, l’un des associés de la filiale marocaine du cabinet Jeantet Maroc, qui était impliqué dans tous les moments de la procédure marocaine devant le TAS et qui nous dévoile les coulisses de ce dossier.
Telquel.ma : Comment s’est établi le contact entre votre cabinet et la Fédération royale marocaine de football ?
Laurent Sablé : Le contact s’est établi spontanément. L’un de mes associés, Youssef Hassouni, est un fan de football et un citoyen marocain qui s’est senti concerné par la décision. Dès le jour de la décision de la Confédération africaine de football (CAF), il a envoyé un email au président de la Fédération Royale Marocaine de Football (FRMF), Faouzi Lekjaa qui nous a reçus. Notre motivation était citoyenne, nous avons ressenti cela comme une gifle, pour le Maroc et les sportifs marocains. Nous voulions mettre nos compétences ainsi que des personnes faisant partie de notre réseau, notamment des avocats suisses et sénégalais, à la disposition de la FRMF. Le tout était piloté par le cabinet Jeantet.
Vous mentionnez la participation d’avocats suisses et sénégalais. Quels étaient leurs rôles ?
Jeantet était le conseiller principal. Avec la FRMF, nous avons établi la stratégie de défense. Le cabinet suisse connaissait les procédures à mettre en place avec le Tribunal arbiral sportif (TAS). Basé à Lausanne, c’est un organisme de droit suisse. Il fallait être extrêmement précautionneux pour respecter les délais de procédure.
L’une des premières discussions avec le TAS avait pour but d’obtenir un délai de procédure accéléré, car le processus arbitral peut durer plusieurs mois. Nous souhaitions avoir un délai extrêmement court afin de connaître la décision avant le tirage au sort des qualifications de la Coupe d’Afrique des nations (qui a eu lieu le 8 avril) pour que la décision du TAS puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible. Le cabinet suisse nous a aidés dans ce domaine car il connait très bien l’institution et ses rouages.
Nous avions également deux avocats sénégalais, parmi lesquels mon confrère Habib Cissé, qui, lui, travaille beaucoup sur le droit du sport et notamment au Maroc sur certains sujets. Il nous semblait important qu’il soit impliqué dans ce dossier afin de montrer au Tribunal que nous avions mis en place un groupe d’avocats représentatif du Maroc.
Quels ont été les principaux arguments pour défendre la position du Maroc ?
Il y avait deux aspects : l’aspect sanitaire et juridique. Concernant le premier volet, nous avons voulu effectuer un glissement sémantique pour passer du « cas de force majeur » au « principe de précaution », plus facile à défendre. Ce dernier principe n’existe pas dans la jurisprudence sportive alors que le « cas de force majeur » figure dans le contrat liant la FRMF à la CAF. On a fait venir des experts qui ont exposé au Tribunal à quel point le risque de contamination était certain. Il faut prendre en compte la période d’incubation de 21 jours, le fait que plusieurs dizaines de milliers de supporteurs allaient venir par voie aérienne ou terrestre, que les stades et les hôtels auraient été pleins. Il suffit que quelques personnes soient contaminées dans une ville importante pour qu’une épidémie devienne hors de contrôle et ce fut notamment le cas au Liberia. Les autorités marocaines ne voulaient pas prendre de risques et préféraient attendre de voir comment l’épidémie allait évoluer.
La CAF a mentionné l’accueil par le Maroc des matchs de la Guinée (pays également frappé par le virus Ebola, ndlr), mais dans ce cas-là il fallait seulement encadrer 45 personnes. La Confédération a également évoqué le fait que la RAM a maintenu ses vols vers les pays touchés, mais on parle de 45 à 50 personnes par jour. L’encadrement de 45 personnes nécessite la mobilisation d’une équipe de 600 personnes pour gérer le suivi. Il était matériellement impossible d’avoir plusieurs dizaines de milliers de personnes affectées à la gestion sanitaire des supporteurs. L’aspect sanitaire a fait l’objet d’un consensus auprès des experts, qu’ils soient de la CAF ou de la Fédération.
Lire aussi : Epidémie d’Ebola : quels risques pour le Maroc ?
Concernant le volet juridique, nous avons cherché à montrer que la CAF n’a pas respecté ses textes et que la sanction était disproportionnée. La CAF était à l’opposé de ce que doit être une confédération continentale, en interdisant à des générations de footballeurs et de supporteurs de participer à une compétition emblématique du continent africain parce que le ministère de la Santé du pays organisateur avait décidé qu’il y avait un risque sanitaire à organiser la compétition sur son territoire. Cette dimension a été prise en compte par le Tribunal, puisque les sanctions ont été ramenées à 50 000 dollars en tout et pour tout.
Le volet sécuritaire a-t-il été abordé ?
A aucun moment ce volet n’a été abordé. D’ailleurs, ni le Maroc ni la CAF n’ont fait allusion à un quelconque volet extra-Ebola. Le volet sécuritaire n’a été mentionné ni dans les écritures ni dans les plaidoiries.
Quel regard portez-vous sur le verdict du TAS ?
La sentence arbitrale a contribué à la réconciliation entre la FRMF et la CAF. Le fait que la CAF ait accepté de manière aussi spontanée de réintégrer le Maroc montre le côté positif de cette décision.
Qu’en est-il des huit millions d’euros de dédommagements ?
Cette sanction est annulée mais les deux parties peuvent se présenter devant la Chambre de commerce internationale (CCI) de Paris.
Les deux parties vont-elles se présenter devant la CCI ?
Je ne peux pas me prononcer au nom de mes clients ni de la CAF, mais mon pronostic est que les parties sont tournées vers l’avenir et qu’elles n’ont aucun intérêt à retourner devant les tribunaux pour résoudre un contentieux financier qui peut être réglé entre eux. On imagine difficilement qu’une procédure longue et coûteuse soit engagée en parallèle des éliminatoires.
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