Rencontre avec le gardien des clés d'Internet

A Rabat le 3 mars, Fadi Chehadé, le président de l’ICANN, a été reçu dans deux ministères et à l’Institut national des postes et télécommunications. En attendant les ICANN meetings de Marrakech en mars 2016.

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Fadi Chehadé, le président de l’ICANN
Fadi Chehadé, le président de l’ICANN. Crédit : Antony Drugeon

Entre une rencontre à Barcelone et une réunion à Dallas, Fadi Chehadé, président de l’ICANN, sorte de régulateur mondial du réseau Internet, a fait une halte rbatia mardi 3 mars, au cours de laquelle il a été reçu au ministère des Affaires étrangères, mais aussi par Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Economie numérique, avant de donner une conférence à l’Institut national des postes et télécommunications (INPT) devant les étudiants de l’école.

Si le site de Telquel.ma s’affiche actuellement sur votre navigateur, c’est un peu grâce à lui. Fadi Chehadé, président de l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN, qu’on peut traduire par Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet), est responsable de l’infrastructure du réseau mondial Internet, par le biais des adresses IP notamment. Une sorte d’ANRT mondiale.

L’ICANN s’ouvre au recrutement des Africains

Une lourde responsabilité qui jusque-là était totalement assumée par le gouvernement américain, avec lequel l’ICANN avait un contrat depuis sa création en 1998… Mais fin 2015, l’ICANN s’émancipera de cette tutelle américaine, a déclaré la Maison Blanche le 14 mars 2014. La critique selon laquelle Washington gardait les clés du réseau Internet sera alors nettement moins fondée, même si l’ICANN demeure une société à but non lucratif de droit californien : « Il serait trop long de modifier tous les contrats passés », se justifie Fadi Chehadé.

Lequel a entamé une opération séduction auprès des étudiants de l’INPT, mi-pédagogue, mi-enrôleur. « Je suis très fier de voir des jeunes en Afrique prêts à participer à l’économie numérique », a-t-il lancé à la centaine d’étudiants destinés aux métiers des télécoms, assurant même « Je veux que des Marocains rejoignent l’ICANN ». Car si l’ICANN s’efforce depuis plusieurs années de s’affranchir de la tutelle gouvernementale américaine, la société vise également à devenir plus « polycentrique » et « multilatérale ». C’est ainsi l’ICANN qui a introduit les URL en alphabets arabe, cyrillique, chinois et coréen (entre autres) en 2010.

Fadi Chehadé a affiché son intention d’élargir le recrutement aux talents de tous horizons, notamment d’Afrique et du monde arabe, pour parachever l’internationalisation de l’ICANN.

Vers une gouvernance multilatérale d’Internet ?

Mais la visite de celui qui se présente avec humilité – et/ou sens de la communication – comme un simple ingénieur propulsé gardien des clés du réseau Internet, embarrassé par l’enjeu de sa fonction, ne visait pas qu’à pousser les jeunes Marocains du secteur de l’IT vers les programmes de fellowships de l’ICANN.

L’ICANN, qui organise chaque année un sommet mondial dans une ville différente, posera ses valises cette année à Marrakech, du 6 au 11 mars 2016. « Je suis venu au Maroc pour penser ensemble comment cette réunion peut être une source d’inspiration ; il s’agit de planifier pour ensuite concrétiser la nouvelle gouvernance d’Internet », a-t-il ainsi déclaré à Telquel.ma.

Cette gouvernance, qu’il a décrit polycentrique, organisée entre des organes modestes, aux buts spécialisés, avec seulement une coordination mondiale, serait forcément multilatérale, et émancipée du giron américain. Or à l’heure actuelle, le système de noms de domaine sur lequel reposent notamment la totalité des sites web du réseau Internet repose sur 13 serveurs, dont 11 se trouvent aux États-Unis, « principalement dans des universités ».

Fadi Chehadé a suggéré, entre la plaisanterie et l’argumentation, de placer un autre de ces serveurs à l’INPT de Rabat, posant là encore la question du partage du réseau Internet sur une base multilatérale et tournée vers les centres académiques plutôt que vers les entreprises ou les gouvernements. « Cela permettrait aux requêtes des internautes de ne pas sortir du Maroc, tandis que de passer systématiquement par les Etats-Unis dans des câbles sous-marins, cela représente des délais et des coûts », a expliqué Fadi Chehadé, reprenant là l’une des revendications du Brésil.

Des questionnements qui seront posés en mars à Marrakech. Avec pour enjeu de préserver un seul réseau Internet, alors qu’entre les réseaux privés de type darknet, les velléités de réseau Internet séparé portées par les Chinois ou les Brésiliens, qui ne supportent plus de voir la toile d’araignée mondiale rester centrée autour des serveurs américains. « Préserver l’intégrité des registres (de noms de domaine), c’est ça l’enjeu. Sinon, ce serait la fin d’Internet », explique-t-il, préoccupé.

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