Vidéosurveillance: sécurité ou intrusion?

Dans les supermarchés, au restaurant, au travail et ailleurs, nous sommes régulièrement filmés. Pour la sécurité de tous a priori, mais parfois aussi au mépris du respect de la vie privée.

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Dans le magasin de la société CST, spécialisée dans les solutions de sécurité et située au centre-ville de Casablanca, le rayon dédié aux caméras de surveillance fait le bonheur des commerciaux. Dans la vitrine pour les plus chers, ou sur les présentoirs, figurent des modèles très discrets qui se cachent derrière un banal spot lumineux ou encore des modèles ultra-sophistiqués en forme de dôme capable de lire un badge à 500 mètres.

« Nous réalisons 75 % de notre chiffre d’affaires avec les lieux privés communs comme les commerces, les résidences, les restaurants… Pour le reste, nous équipons les villes et les offices de l’État comme les aéroports, les gares ou les ports », explique Jamal Maktoum, responsable marketing du magasin. « L’installation des caméras fait partie de l’offre intégrale des sociétés qui équipent les bureaux ou les commerces en matériel de bureautique », ajoute-t-il.

Malgré l’explosion du business de la vidéosurveillance, il n’existe aucun chiffre officiel concernant le nombre de caméras qui équipent nos rues et aucune étude n’en précise l’impact.

Peur à vendre

« Quand vous quittez votre résidence le matin, vous êtes filmé. Sur le chemin du travail, vous êtes suivi du regard par les caméras des banques et des commerces, et même sur votre lieu de travail. C’est un accessoire que les gens ont intériorisé et qui passe inaperçu », précise Jamal Maktoum. Comme partout dans le monde, le boom de la vidéosurveillance au Maroc répond à la menace terroriste. « Après les attentats de Casablanca en 2003, les clients faisaient la queue pour acheter des caméras et des détecteurs de métaux. Les années fastes de la vidéosurveillance venaient de commencer », se souvient Maktoum.

Un succès qui ne s’est jamais démenti au fil des années. Les concepteurs rivalisent de créativité pour attirer les clients avec des modèles dont le prix varie entre 250 et 30 000  dirhams. « Pour les grands marchés comme les ports, aéroports et autres sites sensibles, le plus coûteux n’est pas le matériel, mais les logiciels de monitoring et de traitement des données. C’est un marché avec des enjeux financiers énormes », précise un ingénieur informaticien qui préfère garder l’anonymat.

Ainsi, les sites sensibles sont dotés de caméras intelligentes capables de pister une personne de façon automatisée dès son arrivée sur le site, ou encore de repérer un objet comme une valise ou un sac qui n’a pas changé de place après quelques minutes. « Outre ces sites sensibles, plusieurs administrations rechignent encore à installer des caméras, mais ça ne va pas tarder à venir. Prenez le cas des écoles, il est inconcevable de ne pas avoir recours aux caméras pour surveiller la délinquance qui sévit aux alentours », affirme l’ingénieur.

Infatigables sentinelles

Du côté du secteur privé, plusieurs commerces disposent de caméras qui surveillent les caisses ou les dépôts de marchandises. Pour garder un œil permanent sur les affaires, certains patrons peuvent suivre à distance les transactions commerciales, moyennant un téléphone connecté à la caméra braquée sur la caisse grâce à une simple adresse IP. D’autres installent une caméra discrète et reçoivent une alerte sur leurs  téléphones dès qu’un employé entre dans le dépôt de marchandises. Plus pittoresque, le gérant d’une mahlaba nous explique qu’il a installé une caméra au cas où un client payant avec une grosse coupure contesterait la monnaie rendue : il suffit de rembobiner le film pour clore l’incident.

Pourtant, filmer sans indiquer qu’un lieu est sous vidéosurveillance est à la fois risqué et illégal. « Il faut savoir que la majorité de ces caméras peuvent être facilement piratées. Il suffit d’être un bon bidouilleur en informatique pour se brancher sur tous les lieux privés communs et savoir qui fréquente quel lieu et en compagnie de qui. Ce qui représente un danger pour la vie privée et un enjeu sécuritaire grave », analyse notre interlocuteur. Ainsi, au nom de l’impératif sécuritaire, nos vies sont scrutées dans les moindres détails.

Liberté surveillée

Au Maroc, le débat sur le respect de la vie privée n’en est qu’à ses débuts. La Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP) s’est prononcée en juillet 2013 sur la question de la vidéosurveillance. Elle précise que les caméras peuvent être installées aux endroits permettant de garantir la sécurité des biens et/ou des personnes, à condition de ne pas porter atteinte à la vie privée. Par exemple, une caméra placée devant une maison pour surveiller la porte d’entrée ne devra en aucun cas élargir son champ à la porte du voisin. « Je précise que notre démarche, pour le moment, en ce qui concerne les lieux privés communs comme les restaurants, est avant tout pédagogique », explique Houssine Aniss, le secrétaire général du CNDP.

La commission précise également que  l’installation d’un système de vidéosurveillance dans les lieux de travail ou les lieux privés communs doit lui être notifiée à travers une déclaration préalable. « Nous avons mis en œuvre la simplification de la procédure de notification de l’existence des caméras dans un lieu. Nous continuons à mener des contrôles ponctuels pour vérifier les conditions de leur installation », souligne Houssine Aniss. Enfin, la durée de conservation des images ne doit pas dépasser trois mois et les personnes qui utilisent ces données dans le but de nuire à autrui risquent jusqu’à deux ans de prison et une amende de 300 000 dirhams. « J’invite les gens à prendre des initiatives pour déposer une plainte auprès de la CNDP s’ils se trouvent dans le champ d’une caméra dont la présence est illégale ou lorsqu’elle n’est pas signalée par un affichage ou un pictogramme, à l’entrée des établissements surveillés », enjoint Houssine Aniss, qui appelle de ses vœux un vrai débat autour de la question.

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