« Au Maghreb des Livres, dans la grande galerie de l’Hôtel de Ville de Paris, la photo d’Assia Djebar était projetée sur un grand écran. C’est à ce moment qu’un ami a reçu la nouvelle de sa disparition », s’émeut Ibticem Mostfa Louis-Thérèse, écrivaine et miniaturiste tunisienne, qui peint des poèmes de la tradition orale sur des feuillages. « Assia Djebar, c’est tellement beau, ce qu’elle écrit, que son écriture est comme un habit d’apparat. La lire offre de quoi s’habiller l’âme et le corps ». L’annonce de sa mort a endeuillé le Maghreb des Livres. Tous se souviennent de la « grande dame », écrivaine et militante. Ému par cette « très grosse perte », Yahia Belaskri témoigne : « Dans toute son œuvre, elle a fait place aux femmes écrasées par la tradition. Elle avait une grande exigence intellectuelle et littéraire. J’ai encore en tête les mots de L’Amour, la fantasia ou de Oran, langue morte. Assia Djebar nous laisse sa voix et ses mots ». « C’était un écrivain prolixe et elle a beaucoup défendu la cause des femmes au Maghreb », salue Mohamed Nedali. « Elle fait partie de ceux que je regrette de ne pas avoir rencontrés, comme Kateb Yacine et Mohamed Dib », soupire Kébir Ammi. Pour Fouad Laroui, « elle est un des classiques modernes de l’Algérie, pas seulement pour son œuvre littéraire, mais aussi pour la dimension historique et anthropologique qui lui donne beaucoup de richesse ». Et de conclure : « Elle a eu une belle vie ».
La cause des femmes
Assia Djebar, de son vrai nom Fatima-Zohra Imalayene, est née en 1936 à Cherchell. Comme elle le raconte dans Nulle part dans la maison de mon père (Fayard, 2007), un récit autobiographique « aux couleurs aussi anodines que surannées » écrit « pour se dire à soi-même adieu », elle a eu une enfance heureuse. Fille de l’unique instituteur arabe du village, brillante élève, collectionnant les prix d’excellence, c’est une pionnière. Une des premières filles internes au collège de Blida puis au lycée d’Alger, la première femme admise à l’École normale supérieure de Sèvres en 1955, avant d’en être évincée car elle avait suivi le mot d’ordre de grève de l’Union générale des étudiants musulmans algériens. En 1958, paraît chez Julliard son premier roman, La Soif, déjà sous ce nom de plume évoquant « la consolation et l’intransigeance ». Suivent une vingtaine de titres (dont Les enfants du nouveau monde, 1962 ; Femmes d’Alger dans leur appartement, 1980 ; L’Amour, la fantasia, 1985 ; Ombre sultane, 1987 ; Loin de Médine, 1991 ; Vaste est la prison, 1995 ; La femme sans sépulture, 2002…), quelques recueils de poèmes et pièces de théâtre, mais surtout des romans et des essais où elle prend fait et cause pour la condition féminine, contre la réclusion des jeunes filles, contre les tabous. Elle s’est également lancée dans le cinéma, réalisant La Nouba des femmes du Mont Chenoua (1978, primé au Festival de Venise), et La Zerda ou les chants de l’oubli (1982, meilleur film historique au Festival de Berlin).
Pionnière à l’Académie française
Cette œuvre lui a valu d’être citée à plusieurs reprises pour le Prix Nobel de littérature, ainsi que de nombreuses distinctions (Prix Maurice Maeterlinck à Bruxelles, Prix Marguerite Yourcenar à Boston, et Grand Prix de la francophonie en 1999). Elle qui œuvrait à la compréhension et à la modernisation de la culture maghrébine tout en vivant entre les États-Unis et la France, où elle enseignait l’histoire, la littérature et le cinéma à l’université, a été élue en 2005 à l’Académie française. Elle a été la première Maghrébine à être admise parmi les « immortels », ainsi que le premier auteur musulman. Mais le combat pour faire connaître l’œuvre de celle qui a marqué tant de jeunes auteures du Maghreb reste encore à faire.Lors d’une table ronde dédiée à l’édition au Maghreb, Sofiane Hadjdjadj, fondateur des Éditions Barzakh, en Algérie, soulevait le problème du patrimoine littéraire : « Assia Djebar est un auteur majeur qui a échappé à l’Algérie. Pendant longtemps, ses livres, édités en France, n’étaient pas accessibles en Algérie. Maintenant, il y a eu des traductions et nous sommes en discussion pour reprendre trois ou quatre titres ». Une œuvre, traduite en une vingtaine de langues, porteuse d’espoir et de volonté, à redécouvrir.
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