Le dernier film de Hicham Lasri est un ovni, une œuvre difficile à résumer et à raconter. Il y a tout d’abord Tarik, personnage principal autour duquel les autres personnages tournent en orbite. Tarik s’habille en femme, se maquille, danse sur le chariot de son père, dans la pure tradition de ces hommes travestis qui égayaient les cérémonies de mariage. Mais derrière cette joie contrainte, cette allégresse de circonstance, se dissimule un mal-être et une tristesse profonde. « Le personnage principal, Tarik, est un zombie, une ruine en marche, comme j’en croise souvent dans la rue. Des personnes en errance pour lesquelles j’éprouve beaucoup de tendresse », nous confie le cinéaste. Pour camper ce rôle, Hicham Lasri a choisi Malek Akhmiss. Le regard profond et la démarche raide, l’acteur est précis dans son jeu.
Petits soldats
« Ce film met en scène des soldats de la vie vivant sur une autre planète, une espèce de monde parallèle. Des petits soldats comme vous et moi », explique le plus hyperactif des réalisateurs marocains. Dans un monde en décrépitude, les héros du film sont égarés, à l’instar de ce flic qui « ne mérite même pas la peur des citoyens », ou de cette prostituée obèse et sadique. Quant à Tarik, il est perdu dans un univers en déséquilibre. « Tarik est un introverti, totalement effacé, autrefois dominé par sa femme et qui n’arrive même pas à venger ses enfants », nous précise Malek Akhmiss. Dans The Sea is behind, le temps semble s’effacer et tous les repères sont flous. Seuls quelques symboles (un tram, un zoo…) nous indiquent que nous sommes bel et bien à Casablanca, ville muse de Hicham Lasri. « J’ai tenu à installer des lignes de tension universelles afin que le film soit compris partout, pas seulement au Maroc. C’est pourquoi le monde de The Sea is behind se rapproche autant de la science-fiction. Mais la vérité marocaine est tout de même partout », ajoute le réalisateur.
Comics en noir et blanc
Le film est un condensé de toute la violence ordinaire qu’il est possible de croiser dans nos rues, de nuit comme de jour. Dans un univers à l’esthétique « comics », en noir et blanc, contrasté par quelques couleurs, les relations zoophiles compensent la frustration sexuelle, les mendiants et les personnes déformées sont bien là, la flicaille vous observe mais ne vous vient pas en aide et les médecins ripoux n’acceptent leurs patients que si de beaux billets leur sont présentés…
« Il y a des choses qu’on refuse de voir dans la vie courante. Le rôle du cinéma est justement d’aller dans les recoins et de filmer l’ombre, les petits malaises, le détail. J’ai voulu montrer des choses qui me choquent comme par exemple les mulets et chevaux qu’on affame avant de les tuer dans nos abattoirs », explique Hicham Lasri. Le film prend une tournure trash, mettant en scène des sacrifices d’animaux, des mulets morts abandonnés sur des brouettes, un jeune homme qu’aucune femme ne remarque, décidant de se soulager dans une ânesse…
A la suite de C’est eux les chiens dans lequel Hicham Lasri a mis en scène les revendications de liberté exprimées lors du Printemps arabe, The Sea is behind pose la question de l’après. « On se bat pour des valeurs mais après, qu’est-ce qu’on fait ? » Le film a été présenté en avant-première mondiale au Festival de Dubaï. Il sera bientôt présenté au Festival de Berlin en avant-première européenne. C’est ainsi qu’il fera sa vie dans les festivals avant (peut-être) d’être projeté au Maroc. Mais Hicham Lasri ne s’arrête pas là. Il est déjà en train de tourner à Casablanca son quatrième long-métrage, Al Jahiliya, avant d’enchaîner en juillet prochain avec le tournage d’un autre film, Les nains. Hyperactif, on vous disait.
Sanaa Eddaïf
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