Jilan, 19 ans, s’est suicidée pour échapper au sort de centaines, voire de milliers, d’autres femmes yazidies du nord de l’Irak réduites à l’état d’esclaves sexuelles par les jihadistes de l’organisation Etat islamique (EI). Son funeste destin est cité par Amnesty International, qui s’alarme mardi 23 décembre de la tragédie des Yazidis, une minorité kurdophone considérée comme hérétique par le groupe extrémiste sunnite. Jilan a été enlevée lorsque l’EI a lancé son offensive en août dans la région de Sinjar, un des berceaux de cette communauté. Elle s’est retrouvée au milieu de « centaines, peut-être de milliers » de femmes qui ont été séparées des hommes en vue d’être « mariées de force, vendues ou offertes par l’EI à des combattants ou sympathisants », selon Amnesty.
« Un jour, on nous a donné des vêtements ressemblant à des costumes de danse et on nous a dit de nous laver avant de les enfiler. Jilan s’est tuée dans la salle de bains », a raconté une fille détenue avec elle. « Jilan s’est entaillée les poignets et s’est pendue. Elle était très belle. Je pense qu’elle savait qu’elle allait être emportée par un homme et c’est pour ça qu’elle s’est tuée », a-t-elle ajouté. Un nombre important de « ces esclaves sexuelles sont des enfants, des filles âgées de 14, 15 ans ou plus jeunes encore », affirme Donatella Rovera, une responsable d’Amnesty qui a interrogé plus de 40 ex-captives.
Les jihadistes de l’EI « ont ruiné nos vies », a dénoncé Randa, 16 ans, violée par un homme deux fois plus âgé. « C’est tellement douloureux ce qu’ils nous ont fait à moi et ma famille ». Une autre captive a raconté à Amnesty que sa sœur et elle avaient décidé de se tuer pendant la nuit pour échapper à un mariage forcé mais que deux autres femmes, éveillées par les bruits, les en avaient empêchées. «On a noué une écharpe autour de notre cou et chacune a tiré l’écharpe de l’autre aussi fort qu’elle pouvait, jusqu’à ce que je m’évanouisse », a confié Wafa, 27 ans.
Nettoyage ethnique
Selon Mme Rovera, « les conséquences physiques et psychologiques des effroyables souffrances que ces femmes ont subies sont catastrophiques ». « Nombre d’entre elles ont été torturées et traitées comme du bétail. Même celles qui ont réussi à s’échapper restent profondément traumatisées ». Les meurtres, tortures, viols et enlèvements commis par l’EI sur les Yazidis relèvent du « nettoyage ethnique », affirme Amnesty.
L’EI multiplie les exactions dans les régions sous son contrôle en Syrie, où il est présent depuis 2013, et en Irak, où il a lancé une vaste offensive en juin. Les jihadistes de ce groupe revendiquent fièrement cette violence en postant sur internet les vidéos de décapitations et de crucifixions. Dans son édition d’octobre, son magazine de propagande Dabiq se targuait d’avoir rétabli l’esclavage, en offrant comme butin de guerre à ses combattants des femmes et enfants yazidis.
Dabiq expliquait que « les gens du Livre » (adeptes des religions monothéistes comme les chrétiens et les juifs, ndlr) peuvent échapper à ce sort en versant une taxe ou en se convertissant, mais que cette dérogation ne s’applique aux Yazidis, qui tirent les origines de leur foi dans le mazdéisme né en Iran il y a près de 4 000 ans. Le traumatisme des femmes réduites en esclavage est aggravé par le choc d’avoir vu leur famille décimée, des centaines d’hommes ayant été tués, et par la stigmatisation qui entoure le viol.
« Quand vous posez la question (aux femmes ayant pu s’échapper), elles n’ont jamais, ou très rarement, été agressées sexuellement. Pour dire les choses simplement, elles ont peur d’être tuées par leur propre tribu », avait expliqué en octobre à l’AFP Hanaa Edwar, militante irakienne des droits de l’Homme. « Tellement de mal a été fait. Il faut lancer une très vaste campagne (de soutien) psychiatrique pour aider ces victimes », avait-elle plaidé.
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