Des populations coupées du monde, des centaines de familles privées de logements, des routes impraticables, des dégâts matériels importants… la région de Tiznit tente de revenir à la vie grâce à la mobilisation de la société civile et de quelques élus.
Fin novembre, une alerte lancée par la Météorologie nationale préparait la population de la région de Tiznit à l’arrivée de fortes pluies. Pourtant, dans la soirée du jeudi 27 novembre, quand le ciel se couvre brutalement, les habitants sont pris de panique. « Je me suis immédiatement mise sur le pied de guerre pour aller à la rencontre des habitants de la médina. Ils avaient peur que l’oued qui traverse la vieille ville ne sorte de son lit », raconte Naziha Abakarim, élue au conseil municipal, membre de l’USFP et professeure d’anglais. Si aucun mort n’a été recensé à Tiznit et dans ses environs, pour les habitants, le choc est terrible : en une semaine, il est tombé autant de pluie qu’au cours des 18 derniers mois. Les dégâts sont nombreux et Naziha Abakarim, comme bien d’autres, consacre tout son temps libre aux sinistrés. Au quotidien, elle porte assistance aux sans-abri de la ville de Tiznit, relogés sur deux sites : au foyer de la Ligue marocaine pour la protection de l’enfance et dans l’internat d’un lycée du centre-ville.
La communauté s’organise
Dans les dortoirs, les matelas se comptent par dizaines. Les repas, issus des dons récoltés par les élus, sont préparés dans les cuisines d’un centre social dépendant de la municipalité. En tout, des dizaines de familles ont quitté leurs logements dès les premières pluies, au cours du week-end du 29 novembre. Depuis, ce sont plus de 500 maisons menaçant ruine qui ont été répertoriées dans la ville. Ces bâtisses, toutes situées dans une médina chargée d’histoire, ont été évacuées par les autorités locales. La plupart des habitants ont trouvé refuge chez des voisins ou des amis. Il restait à reloger 98 personnes qui n’avaient aucune alternative. « Ils sont ouvriers, saisonniers ou au chômage. Ils sont démunis, leurs enfants sont en bas âge et ils ont perdu leur maison. Il était nécessaire de se mobiliser pour leur apporter de l’aide, mais il était difficile de leur faire quitter leur foyer », raconte Naziha Abakarim, qui précise : « Mon rôle était de les convaincre, en usant de beaucoup de psychologie et avec toujours le même argument : que vous le quittiez ou pas, de toute façon votre logement finira par s’écrouler ». Les jours qui ont suivi lui ont donné raison : plusieurs de ces maisons, toutes en pisé, ont cédé sous la pression des eaux. « Dans la médina, l’effondrement de ces bâtisses, comme celle d’un pont datant du règne de Moulay El Hassan, est un préjudice pour l’attrait historique de notre cité. Nous espérons une aide du ministère de la Culture pour que des spécialistes se chargent de leur reconstruction », déclare l’élue.
Pour Saïd Rahim, enseignant à Tiznit et membre actif de la société civile, la gestion du dossier par les élus locaux répond à un agenda électoral. « Ils sont obligés de faire leurs preuves avant les municipales de 2015, mais certains d’entre eux ne sont pas à la hauteur de leur mission ». Il cite le cas d’une élue de la région qui n’a pas jugé utile de quitter Rabat et de se rendre dans sa circonscription pour constater les dégâts. Il admet tout de même que « ce cas reste isolé. Nous avons reçu des aides de tout le Maroc et des artistes comme Amal Atrach et Rachid Adwani ont fait le déplacement avec des colis alimentaires, des jouets et des matelas. Nous avons pu distribuer ces dons dans des villages périphériques de Tiznit à partir du 1er décembre, soit trois jours après le début des pluies ». Une distribution qui n’était pas possible avant, la cinquantaine de localités concernées étant coupées du monde. En tout, ce sont plus de 25 axes, routes principales et secondaires, qui ont été endommagés et fermés à la circulation. Depuis, des travaux ont été réalisés et la circulation rétablie.
Aglou ravagé
Aglou, bien connu pour sa plage, son camping et la grande hospitalité de ses habitants, fait partie de ces villages qui sont restés isolés pendant plusieurs jours. Ici, à une quinzaine de kilomètres de Tiznit, les vagues de l’oued Adougou ont atteint 7 mètres de haut et la crue a été continue pendant plus de trois jours. Le courant était si fort qu’en moins de 4 heures toute une partie du village est dévastée. L’eau, l’électricité et le téléphone, aujourd’hui rétablis, ont cessé de fonctionner pendant plus d’une semaine. Pendant le week-end du 29 novembre, la place principale d’Aglou a été ravagée par les flots, laissant les maisons éventrées et des habitants en pleine désolation. Des habitants bien conscients que la reconstruction prendra du temps et qu’il serait illusoire de croire que leur village sera prêt pour accueillir les touristes l’été prochain. Et le bilan est lourd. Sur les 550 familles de la bourgade, plus de 40 ont perdu leur logement. Parmi les sinistrés, Keltouma raconte : « Je n’ai plus de maison, mais, hamdoullah, comme tous les autres, j’ai été accueillie par mes voisins. Nous avons aussi reçu des colis alimentaires, des matelas et des couvertures. Je remercie les donateurs du fond du cœur ». Hassan Idougram et Ahmed Idbelkacem vivent aussi à Aglou. Tous deux sont membres de la cellule de soutien aux sinistrés, une entité constituée de 7 associations locales qui ont fusionné pour coordonner leurs efforts, communiquer leurs besoins via Internet et distribuer les dons qui affluent. Les deux hommes expliquent, tout en montrant les vidéos qu’ils ont mises en ligne sur leur page Facebook, que la mobilisation dans tout le pays leur a été d’un grand secours. Ils ajoutent que ces pluies sont, de mémoire d’homme, sans précédent dans la région. C’est aussi l’avis de Abdelkrim Benalhafiane, qui représente le ministère de l’Agriculture dans la province de Tiznit. « Le bilan reste provisoire, mais on peut dire que 5 à 10% du cheptel est perdu, que plus de 10% des infrastructures agro-agricoles, comme les khetarras, est détruit, et que 1600 hectares de terres cultivées sont aujourd’hui inondés », estime-t-il.
Le temps de la reconstruction
Bien que l’énorme quantité d’eau qui s’est abattue sur la région ait provoqué des dégâts très importants et laissé des dizaines de familles sans toit, le représentant du ministère de l’Agriculture admet qu’il y a aussi un effet bénéfique : « Le taux de remplissage du barrage Youssef Ben Tachfine était à 15% le mois dernier, aujourd’hui il est à 100% ». Une bonne nouvelle dans cette région agricole où la sécheresse est récurrente. Le gouverneur de Tiznit, Samir Lyazidi, se félicite aussi du niveau de stockage de l’eau, comme du bon déroulement des travaux réalisés sur une trentaine d’axes routiers aujourd’hui ouverts à la circulation. Mais sa plus grande satisfaction est de constater la forte implication de la société civile et l’humilité des donateurs : « Plusieurs entreprises privées ont proposé leur aide gratuitement. Des fortunes locales ont fait des dons conséquents, comme cet homme d’affaires qui a débloqué 1,5 million de dirhams en demandant qu’on ne lui fasse pas de publicité ». Lyazidi ajoute que les procédures ont été assouplies pour lancer les travaux, sans appel d’offres, comme prévu en cas de catastrophe naturelle, pour permettre aux agents d’autorité d’aller plus vite et de parer au plus urgent. On appelle cela des « marchés négociés ». Quand on lui demande quel est le budget nécessaire pour répondre aux besoins dans la province, le gouverneur répond que l’évaluation est en cours au niveau central. Comprenez, la réponse est au ministère de l’Intérieur à Rabat.
En 2009, les inondations à Tiznit et dans ses environs avaient causé moins de dégâts matériels qu’aujourd’hui. Neuf millions de dirhams avaient alors été débloqués par l’Etat. Cinq ans plus tard, la quantité des précipitations et la taille des crues sont beaucoup plus importantes. Ce qui fait dire à certains élus locaux que, comme Guelmim, Tiznit doit être classée « zone sinistrée » pour bénéficier de fonds spéciaux. Une idée que ne partagent pas plusieurs représentants de l’Etat sur place. Mais tous sont d’accord pour dire que les dons restent bienvenus pour aider les sinistrés.
Othman Sqalli
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