Baisse de la croissance, inflation quasi-nulle, détérioration du moral des ménages… le directeur du Centre marocain de conjoncture (CMC) dresse un tableau noir de la situation économique actuelle.
A la tête du Centre marocain de conjoncture depuis 1990, député de Bejaâd depuis plus de 20 ans, ancien ministre de l’Agriculture sous le gouvernement Youssoufi et de l’Education nationale sous Jettou, membre du bureau politique de l’USFP, Lahbib El Malki peut se targuer d’avoir mené un parcours d’exception. « Si Lahbib », comme on l’appelle au sein de son parti, nous livre une analyse des plus critiques de la conjoncture actuelle. Au cours de cet entretien, il a préféré évoquer les questions économiques et laisser de côté sa casquette politique d’« Ittihadi ». Un exercice qui s’apparente presque à un jeu d’équilibriste.
Quel est, selon vous, le degré de gravité de la crise économique actuelle ?
La croissance au Maroc est atypique parce que son évolution d’une année à l’autre est marquée par des écarts relativement importants, qui varient entre 1,5 et 2 points, contrairement aux économies développées dont les fluctuations du taux de croissance sont très étroites et ne dépassent pas un quart de point. L’instabilité de la météo économique est fortement liée au poids et à l’impact des problèmes structurels, en particulier la fragilité du système productif. Il est temps d’adopter une vision différente de l’industrie, qui doit se traduire par une stratégie créatrice de valeur ajoutée grâce à une véritable politique des filières. Autrement dit, remonter vers l’amont, ce qui signifie la maîtrise du savoir-faire, de la technologie, de la nécessité d’investir dans la recherche et la formation d’ingénieurs et de techniciens ainsi que dans la formation professionnelle. Il est temps d’écarter la vision commerciale de l’industrie qui consiste à faire du Maroc un nouveau comptoir de transit. Le succès du Plan d’accélération industrielle reste conditionné par une projection dans l’avenir, avec une seule finalité : stabiliser, à la hausse, la croissance au Maroc.
Le dernier rapport du CMC parle de déflation. Les risques sont-ils réels ?
La relation entre une inflation quasi nulle de 0,5% et une forte contraction de la croissance à 2,5% en 2014 est insolite dans une économie comme la nôtre. Elle s’explique par la réduction des marges des entreprises ainsi que de leur capacité d’investissement. Elle s’explique aussi par la dégradation de l’Indice de confiance des ménages et par la perception des évolutions futures peu favorables. C’est pour cela que la menace d’une situation déflationniste est bien réelle.
Ne pensez-vous pas que la décompensation totale sur les produits pétroliers aura immanquablement un effet sur l’augmentation des prix et pourrait donc arranger les choses ?
L’évolution de l’Indice des prix à la consommation (IPC) durant les dix premiers mois de 2014 est contrastée. D’un côté, les prix moyens des produits alimentaires, qui représentent 40% du budget de consommation des ménages, ont enregistré une baisse de 1,5%. Le ralentissement de la consommation n’est pas étranger à cette situation. Mais la question de la mise en œuvre de la méthodologie à la base du calcul de l’IPC se pose, notamment à travers la représentativité de l’échantillonnage et la qualité du relevé des prix sur le terrain. Par ailleurs, durant la même période, les prix moyens des produits non alimentaires (transport, enseignement, logement, transport, habillement, électricité et eau) ont augmenté de 1,7%. Cet accroissement s’explique par la décompensation des prix des produits pétroliers, notamment pour le transport, mais aussi par la révision à la hausse des prix de l’eau et de l’électricité.
La politique macroéconomique menée par le gouvernement est-elle adaptée à un risque de déflation ?
La situation actuelle est marquée par plusieurs paradoxes qui laissent planer le spectre de la déflation. Elle résulte d’une politique déconnectée de la réalité. Les mauvais arbitrages économiques ont souvent un coût insoupçonné dans la durée. La réduction du déficit doit être conditionnée par le niveau de développement économique et social. Quelle importance accorder à la restauration des grands équilibres dans une économie rongée par l’anémie ? L’histoire du développement nous apprend qu’une dose d’inflation est nécessaire pour booster la croissance.
Quelles seraient, à votre avis, les mesures à prendre de toute urgence pour envisager une sortie de crise ?
La méthode du consensus n’est pas toujours la plus adaptée. Quelle est la signification d’un déficit budgétaire fixé à 3% dans un pays où les problèmes structurels liés à l’éducation, la santé, les transports publics, le logement et l’emploi ne sont pas réglés ? Autrement dit, tous les attributs de la dignité de l’individu. C’est pour cela qu’une autre conception de la croissance s’avère nécessaire, en mettant d’abord l’accent sur le développement des classes moyennes, grâce à une meilleure répartition des revenus. C’est le socle de la croissance dans la durée. Deuxièmement, il faut mettre l’endettement au service de la croissance, c’est-à-dire l’utiliser dans le financement des investissements productifs. Cette relation endettement-croissance exclut toute option destinée à s’endetter pour consommer ou combler les déficits. Le troisième enjeu majeur est la relance de la compétitivité de l’économie nationale, par l’introduction intensive du progrès technique. C’est cette approche qui aidera à jeter les bases d’un nouveau système productif ouvert aussi bien sur le marché intérieur que sur le marché extérieur. La combinaison de ces trois orientations permettrait de créer un climat favorable aux réformes au sein de l’économie et de la société.
Que le gouvernement table sur un taux de croissance de 4,2% en 2015, s’apparente, selon vous, à un miracle. Pourquoi ?
L’important n’est pas de réaliser un taux de croissance entre 4 et 5%. Le problème est mal posé dans le cas du Maroc. Il s’agit de réunir les conditions structurelles pour passer d’une croissance fluctuante à une croissance plus stable. L’économie marocaine reste largement dépendante de la météo. Il faut modifier la base de la croissance, qui reste très fragile et vulnérable, et donc parier sur les secteurs stabilisateurs appelés à jouer un rôle moteur dans cette nouvelle dynamique, en favorisant l’industrie développante.
Faut-il s’attendre à une année 2015 difficile ?
L’année 2015 sera difficile sur le plan social, au moins pour deux raisons. La première est relative à la baisse du pouvoir d’achat, suite à l’extension et à l’augmentation de la TVA, touchant ainsi un certain nombre de produits de grande consommation. La deuxième raison est liée à l’augmentation du chômage qui dépasse déjà 10% de la population active, et aucune mesure forte pour y remédier n’a été prise dans le cadre du projet de Loi de Finances. Il faut s’attendre à une amplification des mouvements de revendication, d’autant que 2015 sera une année électorale.
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