Un air de changement au conservatoire de Casablanca

Le plus ancien conservatoire du Maroc a fait peau neuve après quatre ans de travaux. Solfège, apprentissage d’instruments, dramaturgie, chant classique… la formation a repris son cours.

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Crédit : Yassine Toumi

A première vue, rien n’a changé depuis 1942. La façade du plus ancien conservatoire municipal de Casablanca, situé boulevard de Paris, est toujours la même. Le style art déco, les longs couloirs, les hauts plafonds et les mosaïques ornant les portes sont toujours là. Pourquoi alors a-t-il fallu attendre quatre ans pour que les travaux de rénovation soient achevés ? Certains invoquent le temps pris par l’architecte pour concevoir de nouveaux plans, d’autres le manque de fonds… Pour le tout nouveau directeur, Abdellah El Miry, le conservatoire est bel et bien métamorphosé, et si cela a tardé, c’est qu’il a fallu revoir la taille des classes, la luminosité et l’acoustique et, surtout, appliquer les normes internationales. « L’équipement a également été revu à la hausse. Aujourd’hui, par exemple, la totalité des 25 salles sont équipées d’un piano. Les élèves qui n’ont pas encore d’instrument doivent tout de même pouvoir s’entraîner en classe », souligne-t-il. Dans son bureau, de nombreuses fiches d’inscription attendent encore d’être validées. Un bureau sobre, dont la seule fantaisie est la présence d’une harpe, au conservatoire depuis les années 1960.

Un lieu historique

Construit par les Français il y a plus de 70 ans, le conservatoire de Casablanca est le premier à avoir vu le jour au Maroc. D’éminents professeurs de musique l’ont tour à tour dirigé et ont enseigné au sein de cette institution qui comptait déjà 1300 élèves en 1951. Tous français, puisque les inscriptions n’étaient pas ouvertes aux Marocains. L’institution a connu son âge d’or dans les années 1950. A l’époque, sur les 35 professeurs qui y enseignaient, neuf étaient premiers prix du conservatoire de Paris, tout comme le directeur Georges Friboulet, également premier prix du conservatoire de Rome, distinction suprême. Sous son impulsion, le conservatoire était devenu une véritable fabrique à grands musiciens.

Aujourd’hui, le conservatoire compte 1500 inscrits. Tous les instruments classiques y sont enseignés en plus des instruments orientaux (cithare, luth…) et les frais d’inscription n’ont pas évolué : 110 dirhams par an. D’après Abdellah El Miry, les prix seront peut-être revus à la hausse pour dissuader les moins sérieux. Les passionnés, eux, étudieront entre 6 et 11 ans pour décrocher un premier diplôme, reconnu dans les conservatoires étrangers.

Payés une misère

Casablanca dispose de 9 conservatoires. L’un relève du ministère de la Culture et les 8 autres de la Ville. La formation à la musique et à l’art classique en général s’en porte-t-elle bien pour autant ? Apparemment non. « On a beau construire le plus beau et le plus grand de tous les conservatoires, à quoi cela peut-il bien servir quand les professeurs sont payés une misère ? », questionne un enseignant de luth. Selon le musicologue Ahmed Aydoun, qui a participé à une commission ministérielle pour réformer l’enseignement musical, les conservatoires municipaux sont basés sur une ordonnance du protectorat jamais reprise dans aucun texte après l’indépendance. « Il en résulte que le statut des enseignants des conservatoires municipaux reste flou. Les diplômes n’ont aucune équivalence avec ceux du ministère de la Culture, même s’ils portent le même intitulé », ajoute Aydoun. Les enseignants vacataires dans les conservatoires municipaux, bien plus nombreux que les titulaires, sont payés 15 dirhams de l’heure. Pour ceux qui n’ont aucune autre activité en dehors de l’enseignement, il est quasi impossible de joindre les deux bouts. « La rémunération de ces professeurs sera revue à la hausse. La Commune a accepté de doubler le montant en passant à 3000 dirhams par mois. Il faut à présent attendre que ce soit accepté à tous les niveaux », annonce Abdellah El Miry. Ce dernier a de grandes ambitions. Un partenariat existe déjà avec le conservatoire de Vichy, en France. De plus, le directeur souhaite créer une classe de World Music afin d’ouvrir l’horizon encore trop académique des élèves. Le conservatoire a-t-il les moyens de ses ambitions ? Ahmed Aydoun n’est guère optimiste : « Les budgets alloués aux conservatoires sont dérisoires et il en sera toujours ainsi tant que le musicien sera considéré comme un amuseur public ». Et d’ajouter que le budget de l’Etat ne devrait être qu’une base à laquelle s’ajouteraient d’autres contributions privées ou associatives. Selon lui, tout le modèle économique est à revoir.  

Sanae Eddaif

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