Il rattache presque tous les sujets à l’histoire, sa passion. Une pudeur d’érudit, qui semble conjuguée à une volonté de ne pas froisser ses anciens amis, pousse Hassan Aourid à un trop-plein de retenue. Il balaie d’un revers de main les questions sur ses anciennes amitiés au sérail et répond par un simple « non » aux rumeurs selon lesquelles il s’apprêterait à créer un parti amazigh ou à rejoindre le PAM. Mais cet éloignement volontaire des affaires mondaines et officielles lui offre aussi la possibilité d’adopter le regard de l’observateur distant, dont il ne sort qu’avec prudence et parcimonie pour divulguer ce qu’il considère être des pistes valables pour un projet de société séculaire, tolérant et multiculturel.
Vous avez récemment organisé une tournée à travers le pays pour parler du mouvement amazigh. Pourquoi ?
Il faut que le mouvement amazigh dépasse les questions identitaires. Une identité se forge en opposition à une autre et nous devons faire l’économie des affrontements. Nous devons créer une culture marocaine, et l’accoler à une vision du monde. J’ai à l’esprit le modèle turc, qui s’est assigné, au-delà des éléments objectifs de langue et de nation, un projet de société. Le mouvement amazigh est à la croisée des chemins : il peut tourner en rond en sombrant dans ce que j’appelle le fétichisme ou participer à la création d’un projet national.
Faut-il, pour cela, passer par un éloignement du monde arabe ?
Le mouvement national a été marqué par des référentiels géographiques « horizontaux ». C’est-à-dire qu’il s’est identifié à ce qu’il y a à l’est. C’est à partir du discours de Tanger de 1947 que le sultan Mohammed Ben Youssef inscrit le Maroc dans le monde arabe, à l’instigation des nationalistes. C’était l’air du temps. Aujourd’hui, il faut se tourner vers notre sud et notre nord, c’est-à-dire se conformer à des rapports verticaux. Et construire cette sorte d’Andalousie renouvelée, ce trait d’union entre plusieurs mondes, à laquelle pensait par exemple Jacques Berque.
Au sujet des langues, lesquelles ont leur place dans votre projet de société rêvé?
Je crois qu’aujourd’hui il faut être réaliste : la diversité existe de fait. On peut assigner un rôle aux langues, les décliner. La darija et l’amazigh sont les langues de l’affect tandis que l’arabe est dépositaire de beaucoup de notre patrimoine. Quant au français, il semble approprié pour les sciences. Avec tout de même cette mention, la nécessité de l’aménagement et la mise à niveau de l’amazigh.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que l’usage du français est le symbole d’une domination post-coloniale ?
Il ne faut plus avoir honte de la langue française. Comme l’écrivain algérien Kateb Yacine disait, nous devons la considérer comme un butin de guerre. Au sujet des relations franco-marocaines, j’ai écrit, il y a peu, une chronique (dans Zamane, ndlr) qui était un coup de sang, à chaud. Je n’avais pas apprécié que mon pays soit décrit comme une concubine. Mais nous savons tous que notre rapport réel à la France ne peut être basé que sur l’amour. Cheikh Belarbi Alaoui, clerc religieux éclairé et nationaliste, le disait lui-même à son époque. Les investisseurs français, c’est vrai, débarquent ici avec un inégal bonheur. Mais je n’aime pas les jugements catégoriques : la domination n’est pas l’apanage de la France. Des gens avaient dit à Mehdi Ben Barka, de visite en 1957 dans ma région natale : « La faucille qui nous fauche est toujours là, seul son manche a changé ». Le manche serait-il plus acceptable parce que orné d’arabesques ?
Que pensez-vous du dahir interdisant aux imams l’exercice de toute activité politique ?
Cette décision ne m’a pas surpris. Elle ne fait qu’entériner et traduire juridiquement un processus qui a commencé il y a une dizaine d’années, suite aux actes terroristes qui ont frappé Casablanca en 2003. Je suis pour cette décision, car je suis pour la séparation du religieux et du politique.
Mais n’est-ce pas le régime qui met la main sur les mosquées par ce biais ?
Je crois que l’ Etat se doit de répondre aux besoins de la population en matière de culte, depuis la construction de mosquées au pourvoi d’imams en passant par le travail d’interprétation des textes. Dans les faits, le pouvoir n’a pas aujourd’hui le monopole du fait religieux. Il y a des associations religieuses liées à des partis politiques, tout comme il y a des associations d’inspiration, voire d’obédience religieuse, qui font de la politique à leur manière. Je considère le fait d’appeler à séparer le religieux du politique comme un pas positif. Le reste, le temps s’en chargera.
Quelle est votre définition du mot Makhzen ? Pensez-vous que son emploi soit justifié ?
Il n’ y a pas plus difficile que de définir le Makhzen. Mais il semble que la définition la plus pertinente qui ait été donnée est celle du chambellan Ba Hmad. Il disait que le Makhzen est une tente, avec un mât central qui est le sultan, et des piquets pour la tenir de la bourrasque, qui sont les caïds. Il serait, à mon sens, utile de passer de la tente à la construction en dur : l’Etat. Le Makhzen le porte peut-être dans ses limbes. Récemment, dans The Economist, un observateur américain disait qu’il y avait dans le monde arabe des régimes forts aux États fragiles. Il y a du vrai dans ce jugement.
Cette force du régime et cette faiblesse de l’État, c’est ce qu’on appelle l’État profond ?
Cette expression, « État profond », créée par les islamistes turcs, reprise par les islamistes égyptiens puis par les islamistes marocains, est intéressante. En fait, elle renvoie à ce que les Américains appellent l’establishment, et les Français la technostructure. L’existence d’un groupe de techniciens au service de l’État est logique, elle est même, à mes yeux, importante. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’un État fort et cette technostructure peut lui servir. Mais, en effet, on doit encore définir sa finalité, savoir quel pouvoir elle exerce et par quelles valeurs elle est encadrée. Pour moi, il faut lui assigner les valeurs de service public, la cadrer par l’intérêt général, et l’inscrire dans la continuité.
Gardez-vous des amitiés de vos années passées dans le sérail ?
Je tiens à avoir bonnes relations avec tout le monde. Ce qui n’a pas toujours été le cas. De l’aveu même de Abdelaziz Aftati, quand j’étais wali de Meknès, le PJD m’a fait la guerre. Je devais de me défendre. Aujourd’hui j’ai de bonnes relations avec les dirigeants de ce parti. De la même manière, j’ai de bonnes relations avec des éléments du PAM. Être passé par le sérail, ou avoir cru en faire partie, je ne peux pas l’oublier. J’avais refusé de me plier à la volonté de certains de faire de moi un bibelot d’inanité sonore, comme disait Mallarmé, mais on garde des rapports courtois.
Profil1962. Naissance à Errachidia
1992. Prend son poste aux États-Unis dans le corps diplomatique 1999. Devient porte-parole du Palais 2005. Nommé wali de Meknès 2014. Publication de son livre Sirat Himar (Biographie d’un âne)[/encadre] |
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer