Driss El Yazami : «Le temps est venu de parler de la peine de mort»

Le président du 
CNDH a récemment présenté son bilan devant le parlement, après deux années d’une intense activité. 
Le point sur les chantiers en cours et à venir.

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Driss El Yazami, président du CNDH
Driss El Yazami, président du CCME Crédit: Rachid Tniouni

Depuis son retour d’exil en 1995, Driss El Yazami a multiplié les fonctions officielles. L’ancien militant maoïste, qui dirige le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), a participé en 2011 à la Commission consultative de révision de la Constitution. Son statut actuel de président du Conseil national des droits de l’hommes (CNDH) l’amène également à siéger au Conseil économique, social et environnemental (CESE). L’homme a aujourd’hui l’oreille de Mohammed VI. En 2013, à peine le rapport du CNDH sur la question migratoire rendu que le roi annonçait le lancement d’une campagne de régularisation. En juin dernier, El Yazami s’est livré pour la première fois à l’exercice, qui sera désormais annuel, de présenter le travail du CNDH au parlement. Il y a, entre autres, défendu l’abolition de la peine de mort.

Le travail concernant la transition et la réconciliation, entamé par l’IER et poursuivi par le CNDH, ne suscite plus autant de polémiques qu’auparavant. Pensez-vous que le dossier soit « classé » ?

Nous travaillons à finaliser le processus de réparation individuelle. Il reste quelques dizaines de cas à régler, ils le seront en décembre 2014. La deuxième mission de l’IER était l’établissement de la vérité. En comparant à la quarantaine de commissions du même type dans le monde, le travail fait au Maroc a été significatif à mes yeux. Et je peux dire que, bientôt, il y aura sûrement de nouvelles révélations sur des cas de disparitions forcées. Aujourd’hui, nous nous apprêtons à passer le relais. A la justice d’abord, car une victime ou une famille de victime qui ne s’estimerait pas satisfaite peut toujours se rendre devant un tribunal. Ensuite, à la recherche académique. Dans ce sens, nous travaillons sur le projet de l’Institut d’histoire du temps présent, et sur les projets de musées à Al Hoceïma, Dakhla et Ouarzazate. D’autre part, nous faisons bénéficier des pays comme la Libye ou la Tunisie de notre expérience. Récemment, nous avons aidé le Mali à se doter de lois sur la réconciliation.

Le CNDH ne devrait-il pas aussi se pencher sur les questions des libertés individuelles, que beaucoup d’ONG assimilent aujourd’hui à la lutte pour le respect des droits humains ?

La question est de savoir comment, sur chaque problématique, obtenir une sorte d’alliance pour la réforme. Par exemple, je suis abolitionniste en ce qui concerne la peine de mort. Je l’ai dit il y a peu devant le parlement. Je sais que la société marocaine est divisée sur la question et je ne vais pas imposer mon point de vue. Je dialogue, j’argumente, j’évoque la question de l’erreur judiciaire… Il faut savoir attendre les moments les plus favorables pour aborder certains sujets. Dans le cas de la peine de mort, c’est le moment, à l’approche d’une refonte du Code de procédure pénale.

Au vu de l’actualité, la menace terroriste pèse de nouveau sur le Maroc. Comment concilier préoccupations sécuritaires et droits humains ?

Le monde vit depuis deux décennies avec la menace terroriste. Nous savons que la lutte contre les actes terroristes a déjà abouti, au Maroc aussi, à des violations des droits humains. Accepter ces violations reviendrait à se mettre au niveau des valeurs des terroristes. Pour le gouvernement, l’équation n’est pas facile, et nous le savons. C’est pourquoi les associations ont le devoir d’assurer un rôle de veille.

Considérez-vous qu’il y a une spécificité des droits humains au Sahara ?

Je porte une attention toute particulière à cette région. Les droits humains sont les droits humains et se doivent d’être respectés partout, de la même manière. Bien sûr, dans le sud, il y a des spécificités culturelles, anthropologiques, historiques et politiques. C’est pourquoi nous insistons sur le travail des commissions régionales du CNDH dans le sud. Nous étendons aussi notre travail dans cette région aux droits culturels, en participant à préserver le patrimoine hassani par exemple.

Où en est la campagne de régularisation des migrants ?

Nous venons de mettre en place la commission de recours pour les migrants qui demandent à être régularisés. Et nous menons quantité de petites actions concrètes. Lors des récents affrontements entre migrants dans la forêt de Gourougou, dans le nord, nous sommes intervenus et avons aidé les associations à jouer le rôle de médiateur. Et cet été, je compte m’employer à tendre la main aux migrants qui vivent dans cette forêt. Je savais que rien ne serait facile lorsque nous avons remis notre rapport concernant cette problématique en 2013. Nous sommes actuellement dans une phase troublée, de transition. Regardez, les assauts sont nombreux, sur Sebta et Melilia, aussi parce que la pression policière s’est relâchée. C’est que la tâche et les enjeux sont de taille. Il nous faut élaborer, dans un contexte particulier, celui d’un pays en développement, qui connaît une occupation européenne de deux de ses villes, un politique migratoire ambitieuse, pérenne et respectueuse des droits de l’homme.

Que répondez-vous à ceux qui accusent le CNDH d’être la bonne conscience du régime ?

C’est une critique que j’entends de moins en moins. Nous parlions de ce sujet avec feu Driss Benzekri (ancien président de l’IER, ndlr). Nous savions qu’aucun travail de réconciliation ne saurait faire consensus. Nous disions que la réconciliation, ce serait plutôt le règlement pacifique du dissensus.

Le ministre de la Justice, Mustafa Ramid, a admis l’existence de la torture au Maroc. Est-ce une avancée et que comptez-vous faire à ce sujet ?

Concernant la torture, Mustafa Ramid fait son travail et il faut l’en féliciter. Nous savons qu’il n’y a plus de politique d’utilisation systématique de la torture, mais un seul cas est déjà intolérable. Il faut profiter de la réforme du Code de procédure 
pénale pour réaliser des avancées. Nous allons d’ailleurs émettre des recommandations. Par ailleurs, une réforme n’est pas un slogan. Il y a des systèmes qu’il faut introduire et systématiser. La médecine légale est un exemple. Des médecins spécialisés seront plus à même de travailler sur ce genre de questions.

Le CNDH peut-il jouer un rôle de surveillance sur cette question ?

Le Maroc a signé le protocole facultatif à la Convention contre la torture. Et ce protocole prévoit un mécanisme très ambitieux, que peu de pays utilisent aujourd’hui, et que j’espère pouvoir voir en place au Maroc d’ici peu. Il s’agit d’un « mécanisme national de prévention », qui permet entre autres la visite de tous les lieux de privation de liberté. C’est un gros chantier qui nécessiterait même de réviser nos statuts, mais j’y tiens.

PROFIL

1952. Naissance à Fès           

1977. Est condamné à la prison à perpétuité et s’enfuit en France

1995. Rentre d’exil 

2007. Devient président du CCME

2014. Premier discours au parlement en tant que président du CNDH

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