Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’apprête à rendre son avis concernant le projet de loi 86-12 sur les partenariats public-privé. L’adoption du projet de loi était en suspens depuis la saisine du CESE par la Chambre des conseillers, le 24 mai dernier. Le projet de loi tel qu’il a été transmis au CESE fait l’objet de plusieurs réserves de la part du conseil, sans pour autant remettre en cause sa finalité. Une mise au point pour éviter les écueils dans lesquels se sont retrouvés beaucoup de pays au moment de légiférer sur les contrats de partenariat.
1- Quel rôle pour l’État ?
Le CESE s’interroge sur le rôle de l’État, qui pourrait voir ses prérogatives remises en cause par ces nouveaux contrats. Le conseil exprime la crainte de voir l’État se désengager de secteurs jugés relevant de sa compétence exclusive, par exemple l’éducation, la santé, ou la défense nationale.
Ce point particulier ne manque pas de soulever l’interrogation du CESE qui craint pour la qualité d’un service public qui tendrait à devenir marchand et à répondre à une logique concurrentielle, et donc qui pourra impacter l’usager de ces services, tant en termes de gratuité que de qualité de service.
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La recommandation du CESE
L’État doit demeurer garant de la qualité, de la gratuité et de l’égalité d’accès à ces services de base.
Le CESE recommande de mettre en place un mécanisme pour garantir que l’accès aux secteurs sociaux non marchands (en d’autres termes, l’éducation, la santé) concernés par des partenariats public-privé reste gratuit et équitable. L’État doit demeurer garant de la qualité, de la gratuité et de l’égalité d’accès à ces services de base. Autrement dit, garantir que les principes du service public restent respectés. Quant à la défense nationale, elle doit être strictement exclue de ce type de contrat, et rester de la compétence exclusive et non délégable de l’État.
2- Qui évalue et contrôle les contrats ?
Les contrats de partenariats sont des contrats qui engagent les finances de l’Etat sur plusieurs décennies. Le montage du contrat se doit donc d’être irréprochable, souligne le CESE, tant en termes financiers que sur les dispositions relatives à la qualité du service et de l’équipement.
Le projet de loi tel qu’il a été transmis au CESE ne contient pas, en particulier, de mécanisme d’évaluation de la stratégie partenariats public-privé globale, mais une évaluation projet par projet.
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La recommandation du CESE
Créer des institutions à même d’évaluer ces contrats.
Le conseil plaide pour une évaluation globale des projets, et pour l’institutionnalisation et la systématisation de l’évaluation a priori et a posteriori de l’impact des projets. Le conseil prend position pour la mise en place d’une stratégie globale qui s’inscrive dans le temps long et qui donne une visibilité tant à l’Etat qu’aux opérateurs.
Ainsi, les projets de partenariats public-privé doivent être listés dans une stratégie pluriannuelle, qui permette à l’entreprise d’avoir une vision à long terme sur des projets qui nécessitent à la fois des moyens financiers, techniques et humains importants, afin qu’elle soit en mesure de préparer une offre intéressante.
Par ailleurs, le conseil se positionne pour créer des institutions à même d’évaluer ces contrats, leur mise en place, leur impact, leur pilotage, et leur évaluation globale, projet par projet, mais également de la stratégie nationale des partenariats public-privé.
3- Les entreprises marocaines vont-elles en profiter ?
Comme le souligne le CESE, la commande publique est un levier de croissance extrêmement puissant, et contribue au développement économique du pays. La part de la commande publique dans le PIB marocain est de l’ordre de 25 %. Dans l’Union européenne, elle est d’environ 20 %.
Le CESE est également circonspect quant à la place que pourraient prendre les entreprises marocaines dans l’attribution de ces projets, qui nécessitent souvent des investissements extrêmement lourds et des compétences de pointe. Les grands groupes internationaux se positionnent généralement sur ces marchés, d’après les expériences étrangères. Le risque serait que les entreprises marocaines en soient systématiquement écartées.
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La recommandation du CESE
Des contrats générateurs d’emplois et de richesse.
Pour le CESE, l’utilisation des partenariats public-privé doit avant tout servir le développement économique et social du royaume, tout comme il permet au tissu économique marocain de développer ses compétences et savoir-faire. Cela doit conduire le législateur à mettre en place un mécanisme permettant d’inclure les entreprises marocaines dans les projets. Ainsi, un des critères d’attribution des contrats est l’impact qu’aura le partenariat sur le tissu économique local en termes d’emplois et de créations de richesse.
4- L’opinion publique va-t-elle adhérer ?
Le CESE s’interroge également sur la réception par l’opinion publique de ces nouveaux contrats, alors que les contrats de délégation traditionnels n’ont fait l’objet d’aucune évaluation de performance au fil des années, et sont surtout connus du grand public pour les difficultés qu’elles connaissent et la piètre qualité de service qui les caractérisent souvent.
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La recommandation du CESE
Egalité et continuité d’accès au service public, puis évaluation et maîtrise du risque.
Le conseil plaide pour que le service public offert par les partenariats public-privé respecte les principes du service public, à savoir l’égalité d’accès au service et la continuité de ce dernier.
Le CESE propose de mettre en place en amont une évaluation du risque de défaillance du service, et les scénarios de secours possible. Par ailleurs, le contrat doit comprendre les modalités de gestion du risque de la part de l’entreprise en cas de défaillance. Tout comme il est nécessaire, au sens du Conseil, de procéder à une évaluation du service offert à l’usager en termes de coûts et d’efficacité.
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Qu’est-ce qu’un partenariat public-privé ?Les partenariats public-privé sont des contrats publics par lesquels l’Etat confie à un opérateur privé une mission globale. En d’autres termes, l’opérateur privé prend en charge la conception, la réalisation, l’exploitation et la maintenance d’un équipement nécessaire au service public, mais également son financement. Ce type de contrat permet généralement de financer des investissements lourds, tels des aéroports, des lignes de chemin de fer à grande vitesse, ou encore des infrastructures énergétiques, sans pour autant engager les finances de l’Etat dans l’immédiat. C’est un type de contrat dont la pratique est courante depuis plusieurs années, au point qu’il existe une cellule dédiée à leur conception au sein de la Direction des entreprises publiques et de la privatisation. Spécificité, ces contrats courent sur une très longue période de temps, afin que l’opérateur privé puisse rentabiliser ses investissements. La rémunération est versée par l’Etat sous forme de loyers, sur toute la durée du contrat. [/encadre] |
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