Simohammed Fettaka, 
l’homme de fer

Vidéaste, photographe, performer, Simohammed Fettaka pousse toujours plus loin les limites de l’art. Ce Tangérois s’inspire des tranches de vie de ses contemporains et vient de présenter « Zobra », sa nouvelle création.

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La voix est lente et posée. Simohammed Fettaka, artiste pluridisciplinaire de 34 ans, se raconte et se délie avec simplicité. Il revient sur les traces de son enfance, passée dans le nord marocain, qui a influencé l’éveil de son inclination pour l’art. « J’ai toujours vécu au Maroc. Son aire géographique est intéressante et prête à réflexion. La population évolue entre Orient et Occident, parfois en errance », explique-t-il. De sa terre natale, il triture et transforme une perception de l’image ancrée dans des scènes de vie simple. Témoin, son film « Creatruction », proche de l’autoportrait. Réalisé au sein de Trankat Episode 1, exposition qui rassemblait  les œuvres d’artistes en résidence à Tétouan, « Creatruction » prend corps au cœur de la campagne tangéroise : « J’ai situé ce film sur la route de Tétouan où j’ai grandi, et à Tanger pour les séquences urbaines ». Sa volonté ? Explorer le fossé entre les mondes rural et citadin, car « cet arrachement à la terre originelle renvoie à une rupture de l’ordre du symbole qui touche beaucoup de personnes.»

Issu d’une famille « modeste », il est l’aîné de trois frères et retient de son enfance « une grande liberté. Ma mère, qui nous a élevés seule après la mort de mon père, ne s’est jamais opposée à nos choix », confie-t-il.« On n’est pas artiste sans qu’un grand malheur s’en mêle », répétait souvent Genet. C’est  l’ombre de son père disparu trop tôt, passionné de 8e art, que Simohammed recherche à travers la photographie, renouant avec sa mémoire affective. « J’ai le souvenir de l’avoir toujours vu avec son appareil entre les mains, il adorait tout photographier. » Aussi intrigante qu’inattendue, « False »,  série photographique qu’il signe en 2012, est un véritable uppercut aux codes visuels actuels. Cicatrices profondes et gueules cassées disent la violence des sujets qu’il met en scène : les SDF de la casbah de Tanger, vêtus de costumes et tenant la pose dans un palais de la ville. « Je voulais montrer leur réalité dans un cadre fantastique, les ramener à la fiction. J’aime détourner les codes de la société marocaine. Il y a un lien évident entre l’esthétique et la politique. Tout le monde rêve de pouvoir », avoue-t-il.

Matière à créer

Electron libre qui  gravite  sur la scène de l’art contemporain en pleine efflorescence, ses diverses créations, photos, art vidéo, performance, sont stigmates surprenants qui tracent les lignes d’un style singulier. Présentée à l’Institut français de Casablanca, « Zobra », sa  dernière production, dévissée de son socle, s’apparente à une lourde armure de 30 kilos. Si cette armure de fer signifie puissance en arabe, l’artiste questionne avec force le regard d’autrui. Ainsi vêtu, Si Mohamed a déambulé pour la première fois à Marrakech lors de la 5e Biennale d’art contemporain de la ville en février dernier : « Cette sculpture est l’image de mon corps à travers l’art. Une identité effacée, amplifiée par un corps démesuré, étrange, qui investit l’espace public ».

Fabriquée à Paris par l’Argentin Javier Romero, d’une valeur de 3000 euros, « Zobra » dit en filigrane « l’aliénation de la société où nous devons être identiques. Dès qu’un corps étranger détonne, ça dérange. Les enfants ont le mieux réagi quand je déambulais à Marrakech, ils sont dénués de préjugés… », explique l’artiste. Née il y a un an, son armure a été réalisée en six mois et faite sur mesure. « Le concept, criant d’actualité,  évoque l’idée de l’anonymat et de la protection, il trouve écho dans le monde entier », explique la commissaire de l’exposition et productrice Nawal Slaoui, qui a financé « Zobra ». « Simohammed Fettaka est  très fin dans sa réflexion et  ses thématiques de prédilection. Les réactions que vont susciter ses déambulations dans l’espace public varieront selon les pays : l’évolution du projet prendra alors tout son sens », précise Armelle Dakouo, chargée de production, qui a suivi la genèse de cette création. Nouveau test parmi d’autres haltes, l’Institut des cultures de l’islam de Paris, en septembre prochain. De quoi convaincre les plus rétifs.

Fouzia Marouf

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