Que se passe-t-il à Somaca ?

La Société marocaine de construction automobile Somaca tourne depuis quelques mois à une cadence ralentie. Que se passe-t-il au juste ? Quelles sont les intentions du management de Renault ? Décryptage.

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Photo : DR

Après deux ans de production record en 2012 et 2013, la Société marocaine de construction automobile (Somaca), l’usine de Renault à Casablanca, traverse une mauvaise passe. Depuis le mois d’avril, elle enregistre une baisse de régime qui s’est ressentie au niveau des commandes, et de facto, sur la production. Contactée, la direction de Renault Maroc confirme le ralentissement de l’activité, sans rentrer dans les détails. Un chiffre pourtant illustre la situation actuelle de l’usine : quelque 500 intérimaires ont été remerciés et plusieurs dizaines de titulaires ont été licenciés, selon plusieurs sources concordantes. La production de l’usine est désormais assurée par deux équipes d’ouvriers au lieu des trois qui officiaient jusque-là.

Pour rappel, la Somaca a connu une augmentation de sa cadence de production en 2011. Un rythme qui a poussé les dirigeants à recruter plus d’effectifs et à travailler 24h/24 avec trois équipes. Cette réorganisation lui a procuré une capacité de production de près de 80 000 véhicules par an. En 2013, l’usine se targuait d’en produire 67 000. C’est pourquoi les licenciements et les ruptures de contrats avec les intérimaires étonnent les professionnels du secteur.

Plutôt local !

« Comment une usine telle que la Somaca peut passer d’un record de production à fin 2013 au licenciement de plusieurs centaines d’intérimaires quatre mois plus tard ? », s’interroge un professionnel. Interpellée par TelQuel, la centrale syndicale présente sur le site de production n’a pas souhaité se prononcer. Mhammed Tazi, responsable communication du groupe Renault Maroc, justifie quant à lui cette décision par « la conjoncture économique tourmentée du marché européen, et par la nécessité d’adapter l’offre à la demande ». Même s’il avoue que « la Somaca est depuis quelques années concentrée sur le marché local ainsi que celui des pays d’Afrique du Nord ».

En effet, la Somaca est spécialisée dans la production de la Logan et la Sandero, essentiellement destinées au marché local, mais aussi exportées vers la Tunisie, l’Égypte et la Jordanie. « Les exportations étaient aussi destinées vers des pays plutôt exigeants en termes de qualité, à l’image de la France, l’Espagne ou encore l’Allemagne, précise un professionnel du secteur. Mais peu après le lancement de l’usine de Tanger en 2011, il a été convenu que la Somaca ne s’occuperait que du marché local ainsi que de quelques pays d’Afrique du Nord ». Ce revirement s’est opéré en 2012. Depuis cette date, les exportations de la Somaca ne sont plus destinées au marché européen, qui n’a donc aucun impact sur la production. Qu’est-ce qui plombe alors l’usine historique de Somaca (voir encadré) ? Certains observateurs avancent la situation instable en Egypte, en Tunisie et en Libye, qui sont ses principaux clients. Or rien ne présage d’une amélioration de la situation dans ces pays. Plutôt que d’attendre une hypothétique demande, le management aurait préféré réduire les effectifs.

Quelles perspectives d’avenir ?

Outre ce plan de restructuration assez brutal, les intervenants du secteur s’interrogent sur le sort même de la Somaca et son avenir face à la nouvelle usine de Renault à Tanger. Le site de Melloussa, près de Tanger Med, a nécessité un investissement colossal de la part du groupe et beaucoup de sacrifices de la part du gouvernement marocain. Cette usine est censée répondre à la demande à la fois locale et internationale en modèles d’entrée de gamme, avec une capacité de production annuelle initiale de 170 000 véhicules, qui devrait vite atteindre les 350 000. Quel sera alors le rôle de Somaca ? Le directeur général de Renault, Jacques Prost, a évoqué lors de la dernière conférence organisée par le constructeur « la volonté de créer un groupe qui unit différentes entités présentes au Maroc : Renault Commerce Maroc, Usine Somaca de Casablanca, Usine Renault-Nissan de Tanger et RCI Finance Maroc ». Toutefois, cette déclaration n’est pas à l’image de la réalité du terrain. Car en plus de la réduction des effectifs, le management a mis en place un plan de redéploiement de quelques intérimaires vers le site de Tanger, avec un CDD (contrat à durée déterminée) à la clé. « 75 personnes sont passées du statut d’intérimaire à des contrats CDD dans l’usine Renault-Nissan de Tanger », nous déclare Mhammed Tazi.

L’usine mythique de Casablanca ne semble plus avoir les faveurs de sa maison mère. Une décision surprenante quand on sait que le groupe a bouclé en 2013 son programme d’investissement pour sa modernisation, estimé à 40 millions d’euros (440 millions de dirhams). S’achemine-t-on vers une fermeture de Somaca,  qui n’apporte pas au constructeur les mêmes avantages que son site de Tanger ? Peut-être pas dans l’immédiat. Il ne faut pas oublier que Renault, à travers son usine Somaca, a un contrat avec l’Etat qui court jusqu’en 2017. Autrement dit, aucune fermeture du site n’est possible avant cette date. Quant aux dirigeants de l’usine, ils sont toujours dans l’attente de nouvelles commandes. « Des bruits de couloir avancent une éventuelle reprise de la part de PSA ou un autre constructeur qui peut arriver dans les jours prochains », avance un cadre du groupe.

Histoire. De Fiat à Renault

Fleuron de l’industrie automobile au Maroc, la Société  marocaine de construction automobile (SOMACA) a été créée en 1959 sur une initiative du gouvernement marocain et du constructeur italien Fiat. L’usine s’étale sur une superficie de 90 000 m² à Aïn Sebaâ. Son capital était réparti entre l’Etat marocain (46%), Fiat (20%), sa filiale Simca (20%) et des investisseurs privés marocains (14%). Le site a assemblé pour la marque italienne et sa filiale française (qui sera plus tard absorbée par Peugeot), Simca, plusieurs modèles, à savoir la Simca 1000, les Fiat 1100-103, Fiat 124, Fiat 125, Fiat 128 et Fiat 131. Au total, quelques 2247 unités y ont été produites durant l’année 1962. Un record. En 1995, le gouvernement marocain a signé un accord avec Fiat, afin que cette dernière produise des voitures économiques adaptées aux besoins de la classe moyenne marocaine. La Somaca a alors commencé l’assemblage du premier modèle low cost au Maroc, la Fiat Uno. Suivront d’autres signatures telles que la Fiat Palio et la Siena, avant que les Italiens ne cessent toute production à fin 2003. L’ère Fiat à la Somaca s’est soldée par la sortie de plus de 200 000 voitures de ses chaînes. Le feuilleton de la privatisation de l’usine a connu plusieurs rebondissements. La Somaca était destinée à devenir une propriété de Proton, une entreprise malaisienne, avant que le gouvernement ne décide de céder ses parts à un constructeur connu des Marocains. Renault a été alors choisi en 2003, avant que le groupe français ne décide d’augmenter ses parts dans l’usine, en rachetant la totalité des actions de Fiat dans le capital et d’en faire une filiale à part entière en 2006. Carlos Ghosn, à l’époque numéro 2 du groupe Renault, a déclaré le jour de l’inauguration à un haut responsable marocain : « C’est la première fois que je suis applaudi dans une usine ». On se demande s’il en serait de même aujourd’hui.

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