Lointain souvenir pour certains, simple mythe pour d’autres, l’Aquarium de Casablanca appartient désormais à la légende. Ouvert en 1962 par l’Institut des pêches maritimes du Maroc, il a été fermé à la fin des années 1980, au moment de la construction de la Mosquée Hassan II. Mohamed Fariji n’y est allé qu’une fois lorsqu’il était enfant mais c’est l’un de ses plus beaux souvenirs. Il a gardé en mémoire les gracieux mouvements des tortues de mer, les couleurs chatoyantes des poissons exotiques, l’otarie qui habitait dans une grotte et le nombre incroyable de badauds qui venaient s’y promener. « Je n’y suis plus jamais retourné. En 1986, lorsque les travaux de la grande mosquée ont démarré, cela a été un tel évènement que de nombreux Casaouis ont oublié cet endroit. C’est seulement en 2011, à l’occasion de l’exposition Abysses, sur les grands fonds marins, organisée par l’Institut français dans ce fameux aquarium, que j’ai compris qu’il était complètement abandonné et donc inaccessible au public », raconte-t-il avant de poursuivre : « Hassan II a remplacé un espace public dédié au divertissement et à la pédagogie par un édifice religieux. Il n’a prévenu personne et n’a jamais donné d’explications ». Touché, l’artiste plasticien a alors une idée : créer un musée imaginaire dédié à la mémoire de l’Aquarium.
Cabinet de curiosités
Le projet, financé par l’Arab Fund for Acts and Culture (AFAC), a nécessité près de trois ans de réflexion et de travail. L’exposition alterne réalité et allégorie. Mohamed Fariji est à la fois un « archiviste » et un artiste, il mêle éléments factuels et œuvres farfelues, pour conter l’histoire de l’Aquarium. Le visiteur découvre d’abord une installation qui évoque la coupure des conduites d’arrivée d’eau de mer, censées alimenter les bassins de poissons. « C’est ce que raconte la légende urbaine. D’autres disent aussi que l’eau pompée dans la baie était polluée ou que les poissons rares ont été vendus au marché noir », affirme Mohamed Fariji. Après cette coupure, les poissons exotiques sont morts et les sardines, estampillées d’un tampon de l’administration marocaine, ont envahi Casablanca. Du moins, c’est la version fantaisiste de Mohamed Fariji, qu’il matérialise dans un tableau représentant une carte de la ville blanche parsemée de sardines. Une jolie métaphore sur le peuple, la pauvreté, le contrôle du pouvoir et l’effervescence d’une ville qui n’offre quasiment aucun lieu de détente et de savoir à ses habitants. Parmi les autres créations marquantes, un puzzle géant de la mosquée Hassan II et de la tour d’alimentation de l’Aquarium, qui se confondent, « même si l’une a éliminé l’autre », précise l’artiste. Ou encore un flipper customisé avec des reproductions des mosaïques qui tapissaient les bassins de poissons, « parce que les salles de jeu sont les seuls endroits ludiques de Casa ». L’exposition abrite également un aquarium renfermant un bidonville et un avion de la Royal Air Maroc en miniatures, ainsi que deux bébés requins (des vrais). Au-delà de l’aspect loufoque de ces créations, le message est plutôt explicite : à travers la symbolique des requins et des sardines, Mohamed Fariji dénonce « la dictature et l’abrutissement des masses ».
Une seconde vie
Une position sans concessions qui tranche radicalement avec la personnalité de Mohamed Fariji. Diplômé des Beaux-Arts de Tétouan, également membre fondateur de l’atelier de recherche artistique La source du lion, Mohamed Fariji n’est pas très loquace et n’a pas l’habitude d’être enfermé dans une galerie. Discret, les cheveux en bataille, pas vraiment à l’aise avec les mondanités, il préfère la poussière des ateliers ou la liberté des grands espaces. « L’exposition n’est qu’une première étape. J’ai d’abord besoin de mettre mes œuvres en vente pour investir dans un projet de plus grande envergure », explique-t-il. Pour l’instant, sa stratégie fonctionne puisqu’il a déjà vendu deux œuvres pour plusieurs centaines de milliers de dirhams. S’il n’est malheureusement plus possible de faire revivre l’Aquarium comme au bon vieux temps, pour cause de décrépitude avancée, Mohamed Fariji aimerait le réhabiliter afin d’en faire un espace de création et d’échange artistique. « Nous sommes une quinzaine d’artistes à vouloir nous réunir pour élaborer un plan de réhabilitation du lieu et inviter les élus de cette ville à réfléchir avec nous », poursuit-il. L’un de ses objectifs serait de créer un musée collectif, où les habitants pourraient apporter leurs photographies souvenirs et des archives liées à l’Aquarium. Les sardines ont beau être en bas de l’échelle alimentaire, ce sont elles les plus nombreuses, dixit Mohamed Fariji.
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