L’offre du fonds Actis pour le rachat des activités de Veolia au Maroc est rejetée par les autorités délégantes. L’accord devait passer comme une lettre à la poste, avant que les communes ne virent de bord, mettant hors course le fonds britannique après plus d’un an d’attente.
L’affaire remonte à mars 2013. Veolia Environnement publie un communiqué informant l’opinion publique, notamment marocaine, qu’elle vient de conclure un accord avec le fonds d’investissement international Actis pour la vente de ses activités de distribution d’eau et d’électricité, et d’assainissement au Maroc, portées par les sociétés délégataires Redal et Amendis.
Par cet accord, Veolia signait son désengagement total du royaume, qui s’inscrit dans le cadre de sa stratégie de recentrage géographique. L’arrivée de l’investisseur semblait être saluée par tous. Certaines communes y sont même favorables. Selon des sources proches du dossier, l’accord de principe était acquis, avec la participation du ministère de l’Intérieur, à l’époque chapeauté par Mohand Laenser. Veolia et le ministère de tutelle ont continué à travailler jusqu’en décembre 2013 , date à laquelle le passif de l’opérateur français est arrêté d’un commun accord. Pour le management d’Actis, le soutien du ministère de l’Intérieur est acquis. « Par le passé, l’Etat a fait beaucoup d’effort pour aider Actis, notamment en ne donnant aucune suite à des propositions concurrentes », nous confie une source proche d’Actis. Le Saoudien Acwa Power et le Français ECP sont, semble-t-il, fortement intéressés par les filiales de Veolia. L’Etat serait même intervenu pour stopper une procédure légale menée par un grand assureur marocain contre Actis pour violation d’accord de confidentialité. Tous ces faits réconfortaient le fonds britannique dans sa position.
Hassad change la donne
Mais c’est sans compter le remaniement ministériel qui a remis les compteurs à zéro en octobre 2013. Selon des sources dignes de foi, l’arrivée de Mohamed Hassad à la tête du ministère de l’Intérieur change la donne. Ce dernier « n’aurait pas apprécié certaines erreurs commises par le fonds et son obstination à ignorer certains signaux ». C’est à ce moment que le débat devient plus houleux au sein du ministère de tutelle entre partisans et opposants à Actis. Sentant le coup arriver, le fonds, qui s’était refusé à toute sortie médiatique jusque-là, décide de sortir de son mutisme en avril 2014 en accordant une interview au quotidien L’Économiste. On peut y lire entre les lignes l’inquiétude du management du fonds, qui tente de mettre en avant son expertise et vendre son savoir-faire tout en notifiant que le ministère les soutient. « Avec le soutien du ministère de l’Intérieur, les grands principes ont été validés l’année dernière. Les ajustements nécessaires et éléments techniques de la concession ont été bouclés il y a plusieurs mois. Nous attendons le vote des différentes communes, qui est un processus normal et que nous respectons », déclare ainsi David Grylls, patron du pôle énergie pour l’Afrique d’Actis. Cette tentative ne changera rien à la situation.
Peu de temps après, les votes des différents conseils sont tombés les uns après les autres, rejetant tous le deal et refusant Actis comme successeur de Redal et Amendis. « Nous aurions dû avoir la possibilité de choisir le repreneur à travers le lancement d’une procédure d’appel d’offres », avance Fathallah Oualalou, maire de Rabat. L’autorité délégante marocaine a donc peu apprécié que Veolia impose un acheteur alors que c’est un dossier qui concerne la partie marocaine en premier lieu. « L’éthique voudrait que Veolia s’adresse à nous en premier et nous informe de son désir de vendre ses actifs », déclare Fouad El Omari, maire de Tanger. Malgré cette faute d’éthique, la partie marocaine a pris la peine d’étudier la proposition d’Actis. « Nous sommes arrivés à la conclusion que nous risquions l’avenir d’un secteur stratégique alors qu’en contrepartie Actis n’avance aucune valeur ajoutée dans la stratégie proposée », avance El Omari. Le plan d’action proposé par Actis ne répondait pas aux inquiétudes des conseillers, qui se devaient en plus de composer avec les conditions du fonds.
La Bourse dérange !
L’autre point qui dérange, au plus haut niveau, est la stratégie de sortie adoptée par Actis qui, comme tout fonds d’investissement, se désengage lorsque son investissement arrive à maturité. Le fonds britannique a l’habitude de favoriser la Bourse pour ses sorties. C’est ainsi qu’il rachète en 2009 Umeme, la société publique de distribution d’électricité en Ouganda, qu’il mettra à niveau avant de l’introduire partiellement en Bourse. Il avait fait de même avec la compagnie électrique du Kenya, Tsavo, rachetée en 2000. Cette stratégie semble déplaire aux autorités délégantes. « Il est inconcevable que ce secteur échappe à la souveraineté de l’Etat », lâche El Omari. Pour la partie marocaine, une telle action risque de soumettre Redal et Amendis aux fluctuations des marchés internationaux ou même d’affecter les prix, qui ne seraient plus en adéquation avec le pouvoir d’achat des Marocains.
Alors que les sorties médiatiques des autorités délégantes se multiplient, ni Actis ni Veolia n’ont réagi à ces informations. Et pour cause, « les deux opérateurs n’ont toujours pas été notifiés des décisions prises par l’autorité marocaine », confie une source proche du dossier. Selon nos informations, la notification prendra encore du temps, car la solution de rachat pour laquelle a opté l’autorité de tutelle n’est pas sans poser certains problèmes, notamment d’ordre financier. « Il nous reste à discuter le financement d’une telle opération et cela risque de prendre un peu de temps », affirme Oualalou. Le deal se chiffre en milliards de dirhams, une enveloppe financière dont les villes ne disposent pas. L’autorité est donc en train d’étudier les options de financement qui s’offrent à elle, et notamment les possibilités de crédit. Elle compte également sur l’accompagnement du cabinet Baker & McKenzie comme conseillers. La partie marocaine espère négocier de telle sorte à soustraire tout ce qu’elle doit à Veolia du prix d’acquisition, réduisant ainsi la facture d’achat. La ville de Tanger doit quelque 280 MDH au délégataire. Le montant est bien plus important pour le cas de Rabat où on parle de 1,5 milliard de dirhams. Affaire à suivre !
Élus. Racheter ou sanctionner ?
A Tanger, le débat a été houleux entre les conseillers du PAM et ceux du PJD. Même si les deux parties sont d’accord pour le refus de l’offre d’Actis, leurs avis divergent quand il s’agit de la suite des événements. Les Pamistes, avec à leur tête Fouad El Omari, veulent faire valoir l’article 72 du contrat de gestion déléguée qui leur permet de racheter les parts de Veolia dans Amendis. Le maire de Tanger a même réussi à faire voter une recommandation dans ce sens. Cette proposition n’est pas du goût des élus du PJD. Ces derniers préfèrent faire valoir les articles 62, 63 et 65 du contrat, qui prévoient la déchéance de l’accord et la sanction des fautes du gestionnaire délégué. Une option moins coûteuse pour la ville.« Il ne faut pas se précipiter dans la prise de décision », avance Mohamed Khiyi, élu PJD à Tanger. Et d’ajouter : « Amendis n’a pas respecté plusieurs engagements et dispositions du contrat, c’est sur cela qu’il faut les interpeller ».
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer