Code pénal. Ramid voit grand

Le ministre promet de mieux garantir les droits des 
justiciables, mais les professionnels de la justice sont 
dubitatifs. Zoom sur les principaux points de la réforme.

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Photo : Rachid Tniouni

Après plusieurs mois de travail d’une commission spécifique réunissant une trentaine d’experts, le projet de réforme du Code pénal est enfin prêt. Dans cette nouvelle mouture, publiée en fin de semaine dernière sur le site du ministère de la Justice, 288 articles ont été amendés et 113 dispositions introduites. Mustafa Ramid s’attaque ainsi aux abus de détention préventive et aux éventuels dérapages de la police judiciaire. « C’est un travail de longue haleine qui vise à offrir plus de garanties aux justiciables. Cette réforme apporte des changements inédits au Maroc », nous déclare le ministre de la Justice. La mise en place de peines alternatives, la liberté conditionnelle et la révision automatique des peines figurent parmi les grandes nouveautés.

Souriez, vous êtes filmés !

Bien souvent, lors des audiences, les avocats de la défense commencent par contester les procès-verbaux de la police judiciaire, qu’ils présentent comme vices de forme. Dans la plupart des cas, ils avancent que les aveux de leurs clients leur ont été arrachés sous la torture ou la menace. Plus pour longtemps, le nouveau Code pénal prévoit un 
recours aux enregistrements audiovisuels lors des interrogatoires. Mais ce n’est pas systématique puisque cette procédure n’est valable que pour les délits passibles de deux ans de prison ou plus. Les agents de la police judiciaire ont également la possibilité de renoncer à cette démarche pour « raisons techniques », mais le texte ne précise pas lesquelles. « Il n’y a pas d’aspect contraignant. La police judiciaire peut invoquer n’importe quelle excuse pour se soustraire à l’enregistrement des interrogatoires. L’excuse des raisons techniques est vraiment surréaliste », réagit Hatim Beggar, président de la section marocaine de l’Organisation arabe des jeunes avocats. Par conséquent, les PV de la police judiciaire, avec ou sans enregistrement, seront toujours déclarés recevables par la cour. « Et même s’il y a enregistrement, la PJ peut toujours intimider, voire cuisiner un accusé avant de passer à l’interrogatoire filmé », souligne un avocat du barreau de Rabat.

Autre nouveauté, toute personne appréhendée par la police aura le droit de se faire assister par un avocat dans l’heure qui suit. Et en cas d’incarcération, la défense pourra introduire un recours contre cette décision dans les heures qui suivent, sachant que tout rejet de ce recours  devra être justifié : craintes pour le déroulement de l’enquête, peur d’autres crimes, voire probabilité de fuite de la personne appréhendée. « C’est une grande avancée, mais entachée par le fait de devoir trancher sur ce genre de recours uniquement pendant les jours ouvrables », affirme Hatim Beggar. Autrement dit, si vous avez la malchance d’être arrêté un vendredi soir, votre avocat devra attendre le lundi suivant pour contester votre arrestation.

Alternatives à la prison

Le projet de Code pénal vise surtout à alléger la pression sur les établissements pénitentiaires, qui souffrent pour la plupart de surpopulation. Le nouveau texte renforce les dispositions concernant le contrôle judiciaire, avec possibilité d’assigner un prévenu dans une ville précise. L’usage de bracelets électroniques, sauf pour les moins de dix-huit ans, va également dans ce sens. Le texte ne fournit guère de détails si ce n’est que le contrôle électronique s’effectue sous la supervision du Parquet. Autre alternative à la détention, les travaux d’intérêt général, c’est-à-dire commuer une peine en nombre d’heures consacrées à une « bonne action » au lieu d’envoyer l’auteur d’un délit mineur grossir les rangs de la population carcérale. Cette mesure ne pourra être appliquée qu’avec l’accord de la personne concernée et après une expertise médicale attestant qu’elle est en capacité de s’acquitter des tâches qui pourraient lui être confiées. Le juge d’application des peines propose ensuite une liste de travaux à accomplir au profit des collectivités locales, des administrations publiques ou d’ONG d’utilité publique. La condamnation à des travaux d’intérêt général, selon le projet de Code pénal, ne doit en aucun cas influencer la vie familiale, professionnelle ou scolaire de la personne concernée. Le suivi, lui, est assuré aussi bien par le Parquet, le juge d’application des peines que par le responsable de l’institution à laquelle le condamné a été confié. Qu’en pensent les avocats ? « Nous n’avons pas été associés à la préparation de ce texte, mais nous avons constitué une commission spéciale pour l’examiner de très près et remettre nos remarques au ministre de la Justice », répond Hassan Ouahbi, président de l’Association des barreaux du Maroc (ABAM).

Libérés pour bonne conduite

Pour la première fois au Maroc, la grâce royale ne sera plus l’unique voie de liberté pour quitter l’univers carcéral. Le nouveau Code pénal instaure deux nouveaux mécanismes : la liberté conditionnelle et la révision automatique des peines. Si un détenu montre patte blanche et une prédisposition à la réinsertion, il pourra désormais prétendre à la liberté conditionnelle. A condition qu’il ait purgé au moins le tiers de sa peine et que le directeur de la prison et le Parquet rédigent un rapport favorable. Sa requête sera adressée à une commission, présidée par le procureur général près la Cour de cassation, qui se réunira obligatoirement tous les trois mois. Le détenu a le droit de se faire assister par un avocat et, en cas de rejet, peut renouveler sa demande tous les trois mois. Quant à la révision automatique des peines, en plus de faire preuve de bonne conduite et d’une volonté de réinsertion dans la société, le détenu doit avoir effectué au moins le quart de sa peine. Il peut alors bénéficier de 4 jours de remise par mois purgé s’il a été condamné à un an ou moins. Pour les peines supérieures, la remise sera d’un mois par année écoulée en prison. Tout refus de remise de peine peut faire l’objet d’un recours devant la justice.

« Une telle réforme sera dure à mener si les corps de métiers judiciaires ne sont pas mobilisés et motivés », commente un magistrat casablancais. « Ce n’est pas un saut dans le vide et nous restons ouverts à toutes les observations des professionnels comme des simples citoyens », affirme Mustafa Ramid. Pour cela, le ministère a mis en place un lien sur son site Internet afin de recueillir tous les avis. « Une commission spéciale prendra en compte ces observations et se penchera sur une réécriture de la mouture initiale », poursuit Mustafa Ramid, qui prévoit d’organiser un colloque national sur la question le 13 juin. Ensuite, ce sera au gouvernement d’examiner la copie finale avant qu’elle soit soumise au parlement pour adoption.

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