Mawazine. Festival en la majeur

Pour sa treizième édition,le plus grand festival du Maroc a encore une fois sorti l’artillerie lourde, à coups de concerts bondés et de monuments de la chanson. Le point en quatre spectacles.

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Le public au concert de Cheb Bilal, le lundi 2 juin 2014. Photo : Rachid Tniouni

Comme chaque année, Mawazine a placé la barre haut pour épater la galerie. Après treize ans d’existence, la programmation du festival a su trouver un équilibre entre stars has-been et d’autres qui dominent les charts. Mieux, le festival a donné de la visibilité aux artistes locaux, longtemps agacés par la domination du star-system made in Rotana. Même la polémique suscitée par le financement de l’événement et son gigantisme insolent semble s’évanouir face à son succès. Aujourd’hui, Mawazine s’est confortablement installé dans le paysage médiatique, et des dizaines de milliers de festivaliers se déplacent pour écouter leurs idoles. Musique.

Nom : JT. Note : 20/20

Photo : Rachid Tniouni
Photo : Rachid Tniouni

On ne le dira jamais assez. Dans l’industrie de l’entertainment, il y a les Américains, et puis il y a le reste du monde. A peine son concert à Tel Aviv terminé que Justin Timberlake, JT pour les fans, met le cap sur Rabat pour le lever de rideau de Mawazine. C’est que l’événement tient à conserver sa place dans le top 10 des festivals les plus cotés au monde. Et pour ça, quoi de mieux que d’ouvrir le bal avec celui qui a raflé toutes les récompenses possibles cette année. A cause de son agenda aussi chargé que celui de Barack Obama, la star ne donnera pas de conférence de presse et apparaît à 21h30, ce vendredi 30 mai, sur  la scène de l’OLM. Premier constat : le public est majoritairement constitué de teenagers. De quoi aggraver votre crise de la quarantaine si vous êtes venu vous déhancher sur fond de Suit and Tie ou  Señorita. Quand la star débarque sur scène avec ses musiciens, les Tennessee Kids, l’hystérie est à son comble. Pendant 90 minutes, il bluffe plus de 120 000 personnes avec un medley très bien rodé de ses meilleurs tubes. « Ma fille a 8 ans et le mur de sa chambre est tapissé de posters de JT. Durant tout le show, je la regardais le regarder, moi-même n’étant pas une fan. Elle a pleuré, ri, dansé et chanté en même temps », raconte une maman qui a fait le déplacement de Casablanca. Tapie dans un coin, une adolescente de 13 ans frôlant la dépression nous lance : « Je suis triste parce qu’il n’a pas chanté Mirrors. C’est la plus belle chanson de l’univers ». Rien que ça ! La star exauce son rêve quelques minutes plus tard. 23h30, fin du concert. JT rentre à l’hôtel et fête son show. Il repartira tôt le lendemain, attendu pour un concert à Lisbonne, malgré, nous dit-on, une forte gueule de bois.

IAM.  25 ans et pas une ride

Photo : Rachid Tniouni
Photo : Rachid Tniouni

Deuxième jour de l’événement, et les mauvaises langues ont déjà décrété que Mawazine était en passe de devenir un festival pour ados. Et ce n’est pas le concert de Jason Derülo qui démentira ces allégations. La nouvelle star, malgré un maigre répertoire, attire plus de 100 000 spectateurs. Heureusement que les Marseillais d’IAM sont là pour fédérer toutes les générations. La bande arrive en conférence de presse en totale décontraction. Akhenaton et Shurik’n, respectivement 45 et 48 ans, dégagent une incroyable énergie. « Nous avons grandi et on a tous une flopée de gamins. Ça aide à renforcer le travail d’équipe », nous confie Akhenaton. Quand on lui demande si le groupe assume toujours  le tube Je dance le MIA, il réplique avec un grand sourire : « Nous n’avons pas joué ce morceau depuis 14 ans. En plus de nos textes engagés, IAM est aussi un groupe d’entertainment, et ce soir on va le rejouer pour le plaisir ». Et quand on évoque la nouvelle scène du rap français avec Booba, La Fouine et le faux Gangsta Rap, Shurik’n tranche dans le vif : « Aujourd’hui, il y a suffisamment de diversité pour choisir sa musique et ne pas la subir. Beaucoup de jeunes font de la bonne musique et les médias doivent s’y intéresser ».

Le soir, les deux complices se transforment en fauves de la scène. Les années de métier leur ont donné une grâce sans limites. Même si le concert n’a pas attiré une foule monstre, les aficionados du groupe ont répondu présent. Côté personnalités, seul le Haut commissaire aux eaux et forêts, Abdelâdim El Hafi, est dans le public. Pendant plus d’une heure, IAM balance des sons qui ont bercé des générations entières, avec un jeu de scène très physique. « On peut faire du rap jusqu’à n’importe quel âge. Mais si tu as 45 ans, il faut pas faire des trucs d’ado sur scène », professait Akhenaton quelques heures plus tôt. Longue vie à l’école du micro d’argent, qui nous a fait danser le MIA vingt ans après.

Stromae, l’homme orchestre

Photo : Rachid Tniouni
Photo : Rachid Tniouni

Après Justin Timberlake, Stromae est la star la plus attendue du festival. Quand le Belge arrive en conférence de presse, ce dimanche, la presse internationale et locale se bouscule au portillon. Il se livre d’abord à une séance photos avec les rejetons de quelques happy few tandis que les journalistes s’impatientent. Enfin, le grand garçon chétif vêtu d’un T-shirt flashy débarque dans la salle de presse. Un exercice qu’il a pratiqué des centaines de fois, au point de sembler fredonner Tous les mêmes. Pendant une demi-heure, Stromae est tellement couvert de louanges par les journalistes qu’il passe plus de temps à les remercier qu’à répondre à leurs questions. « Je fais de la musique pour moi d’abord », lance-t-il. De retour à l’hôtel, la star est assaillie par des fans, déclenchant au passage la colère de son manager de frère. Dans la foulée, la représentante d’une marque de champagne profite de la situation pour lui offrir une bouteille à 8000 dirhams pièce. Coup de pub gratos ! Le lendemain, Rabat est paralysée par les embouteillages causés par l’affluence des spectateurs. « Je n’ai pas vu un tel nombre de voitures depuis le concert de Shakira en 2012. Inutile de chercher une place où se garer », nous précise ce policier chargé de canaliser le flux. Face à la scène de l’OLM Souissi, les 7 à 77 ans  sont là pour communier avec l’artiste dont ils connaissent par cœur les chansons. Côté officiels, ont répondu présent le ministre du Tourisme, Lahcen Haddad, ainsi que Abdeslam Ahizoune, le patron de Maroc Telecom. Alors que le red carpet est déroulé pour l’arrivée du prince Moulay El Hassan, ce dernier se serait contenté d’une séance photos avec la star dans le backstage après le concert. Grâce à une mise en scène réglée à la seconde, l’artiste tient sa promesse en jonglant entre chants, vannes pourries mais qui font rire, et transformisme. Le public est conquis. A peine le concert terminé que Stromae enchaîne avec une soirée privée au Royal Golf Dar Essalam.

Bilal. Koulchi Mahboul

Photo : Rachid Tniouni
Photo : Rachid Tniouni

Loin de l’OLM Souissi et de son ambiance bobo, un public d’un autre genre s’apprête à suivre le concert de Bilal à Hay Nahda. Des dizaines de milliers de spectateurs arrivent en motos, en triporteurs ou à pied. Parmi eux,  Saïd, Mehdi et Hassan, trois jeunes qui ont fait le déplacement de Sidi Kacem pour venir voir Bilal. « Nous sommes en pleine préparation du bac et sommes là ce soir pour décompresser », explique Mehdi avant d’ajouter : « Nos parents ne savent pas qu’on est là. Ça fait une semaine qu’on cotise pour payer nos tickets de bus ». Contrairement aux autres scènes du festival, l’impressionnant dispositif de sécurité est très visible sur les lieux pour contrer tout débordement. Dans l’espace VIP proche de la scène, aucune personne connue n’a fait le déplacement ce soir. Une seule cristallise toute l’attention. Il s’agit d’un sosie de Bilal qui porte les mêmes lunettes et la même casquette que la star. La ressemblance entre les deux est tellement frappante que le sosie est très sollicité pour des selfies. Il finira par s’éclipser en  backstage. Il est 22 h  quand  la star algérienne balance d’entrée de jeu le morceau Koulchi Mahboul. Le concert prend rapidement l’air de la Magana un jour du derby casablancais. Sans répit, Bilal déroule : Khalina Amigo, Malek Tbombé 3lina, Ga3 Nabghou Drahem, Chriki hasta la vista… Plus de 100 000 spectateurs donnent de la voix et font pulser Rabat. Bilal, stoïque sur scène comme à son habitude, dirige le tout à la baguette. Dans les rues attenantes à la scène, les cafés qui transmettent le concert en live sont investis par les habitants. Bref, si Stromae a enflammé l’OLM Souissi, Bilal a porté l’estocade sur la scène Nahda. Hasta la vista chriki !

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