Automobile. Kia, entre gloire et déclin

Bin Omeir Holding aura la tâche de redresser une entreprise marquée par les difficultés financières et judiciaires
Le groupe Bin Omeir est le distributeur exclusif de la marque Kia au Maroc. Photo : DR

Kia Motors Maroc n’est plus, pourtant la marque coréenne avait révolutionné le secteur durant les dix dernières années. Récit.

Le salon de l’automobile a ouvert ses portes à Casablanca le 8 mai, avec la présence de 60 constructeurs. L’un des faits marquants de cette 9e édition reste sans conteste l’absence de stand de la marque Kia. C’est la première fois, depuis dix ans, que le constructeur sud-coréen manque à l’appel. La marque est aujourd’hui associée à un scandale financier impliquant l’ancien directeur de la société (voir encadré). Et pour espérer ressusciter au Maroc, Kia attend de trouver repreneur. Même si aucun opérateur ne s’est jusque-là officiellement déclaré, plusieurs candidats seraient dans les starting-blocks : on parle de Sopriam, Auto Hall, mais aussi Toyota du Maroc. Si la carte Kia séduit, c’est que la marque sud-coréenne a mis le turbo sur une décennie pour démocratiser l’accès 
à la voiture neuve dans le royaume. 

Le phénomène Picanto

Au tout début de sa brève histoire, la carte Kia été détenue par la Centrale chérifienne automobile (CAC), importateur exclusif de Volkswagen, Porsche, Audi et Skoda. Afin de proposer une gamme plus abordable à ses clients, l’entreprise commercialise à la fin des années 1990 deux modèles, Sephia et Sportage. Mais Kia, à cette époque, nourrissait de grandes ambitions dans la sphère automobile mondiale et cherchait des contrats d’exclusivité pour figurer sur le podium des ventes. Un certain Amine Belkhoya, jusque-là parfait inconnu du monde des affaires, décroche en 2002 l’exclusivité pour le marché marocain en montant Kia Motors Maroc (KMM). Les Coréens y voient une opportunité de développement en capitalisant sur la belle aventure de leurs compatriotes de Hyundai au royaume.

La première apparition officielle de KMM était lors de l’édition 2004 de l’Auto-expo de Casablanca. Kia installe un petit stand où elle présente une gamme plus ou moins ancienne, avec en star la Picanto. Cette mini-citadine intéresse fortement les Marocains avec son prix très attractif ne dépassant pas les 80 000 dirhams. « C’est la voiture qui a permis à bon nombre de simples salariés marocains de s’offrir une voiture », rappelle un fin connaisseur du secteur automobile. La voiture se vend facilement et rapidement et place la marque en tête des ventes pour les années qui suivent. Fin 2007, 8100 Picanto sont écoulées au Maroc. Un record historique avec une progression de 84% sur une année. Belkhoya, en bon négociateur, s’arme de la réussite de la Picanto pour pouvoir négocier des prix très bas.

Une com’ agressive

À leur arrivée au Maroc, les voitures KIA sont proposées à des prix défiant toute concurrence. « La politique employée par KMM était simple : faire baisser les marges, occuper le plus possible de pages de pub et gagner sur le volume », explique notre source. En effet, l’entreprise adopte une politique de communication agressive. Elle est constamment présente dans les médias et les panneaux d’affichage et propose souvent des promotions. Cela donne à KMM l’opportunité d’étendre son réseau de distribution et d’étoffer son offre.

Le distributeur décide alors d’intégrer une autre star du constructeur, la Sorento. Il s’agit d’un 4×4 diesel qui déclenchera le boom des SUV abordables. Le groupe voit alors ses ventes exploser entre 2004 et 2008, pour enregistrer des taux de progression dépassant parfois les 100% par an. L’essor que KIA enregistre au Maroc et dans les quatre coins du globe pousse le constructeur à se redynamiser et à innover. « Kia proposait des équipements d’options mais en série », explique notre spécialiste automobile. Les affaires marchent à merveille pour KMM, jusqu’à ce que la concurrence les défie sur leur propre terrain. La production locale de Dacia par Renault ainsi que la baisse des droits de douane pour les voitures européennes mettent à mal le business model du Coréen. La baisse des ventes de Kia  commence à se ressentir dès 2009, année durant laquelle le groupe accuse une chute de 25%.

La descente aux enfers

La maison mère commence ainsi à perdre confiance en son distributeur au Maroc. « Très peu de nouveautés arrivaient chez KMM, contrairement aux distributeurs des autres pays qui avaient le même agenda que la maison mère », souligne un spécialiste du secteur. Il suffit de se référer aux chiffres : les parts de marché passent de 13% en 2008 à moins de 4 % en 2012.

En 2013, KMM n’a pu écouler que 669 voitures, contre 10 000 cinq ans auparavant. Soit une baisse de 93%, au moment où les ventes de voitures neuves dans le pays enregistrent de bonnes performances et progressent de 5% par an. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, l’entreprise se retrouve otage de ses créanciers, qui ont cumulé des millions de dirhams de dettes : des contrats de publicité non honorés et des voitures bloquées au port en attente de dédouanement. « Le club du Wydad figure parmi les victimes de l’entreprise (ndlr : KMM avait signé un contrat de sponsoring sur quatre ans mais a cessé de verser l’argent au bout de deux ans)  », précise notre spécialiste. Kia Motors Maroc se retrouve en cessation de paiement en 2014 et doit suspendre son activité. Les éventuels repreneurs de la carte sont conscients des problèmes auxquels ils devront faire face. Pour eux, le pari sera de retrouver la formule pour remettre Kia sur les rails.  

Amine Belkhoya. Fin tragique

Le 19 avril 2014, Amine Belkhoya est arrêté et transféré dans une cellule à Oukacha. La « fin d’un mythe », comme dirait ses collaborateurs. En effet, les employés de l’entreprise et malgré le fait qu’ils n’aient pas été indemnisés, continuent de défendre leur ancien patron. Pour ses connaissances, il est vu comme «quelqu’un d’agréablement gentil, serviable, honnête, présent et par-dessus tout, un homme généreux». Le personnage de Belkhoya avait un don pour charmer son entourage. «Il a réussi des coups de maître lors des négociations avec les Coréens», se rappelle l’un de ses proches. Pourtant, l’homme est aujourd’hui accusé de détournement et d’abus de confiance par ses anciens actionnaires.  

 

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