Depuis 2012, l’association des Birdies de Mogador apprend à des enfants issus de familles modestes à jouer au golf. Plongée au cœur d’un projet unique en son genre.
En périphérie d’Essaouira, le Sofitel Mogador est niché au cœur d’un parcours de golf de 580 hectares à la végétation luxuriante. A proximité, se trouve Diabet, un modeste village de 1000 habitants. Deux univers qui, en apparence, n’ont rien en commun. Pourtant, une poignée de golfeurs ont réussi à créer un trait d’union entre les deux mondes. Le défi étant de sélectionner un groupe d’enfants du village pour les initier au golf. L’idée peut paraître farfelue, pourtant, comme chaque vendredi, garçons et filles de 7 à 14 ans se précipitent, qui à pied, qui à vélo, pour arriver avant le début du cours à 14 heures. La Mogador Golf Academy abrite l’association des Birdies de Mogador, chargée de la formation gratuite de 60 enfants de la région d’Essaouira. Aujourd’hui, les enfants sont accueillis par Mustapha Akkaz, un ancien caddie qui a officié pendant 25 ans au golf de Dar Essalam à Rabat, avant de rejoindre la Mogador Golf Academy où il a décroché son diplôme d’entraîneur. Il est 14 heures pile et les enfants sont prêts à arpenter les parcours de golf, gants à la main, tirant chacun son sac plein de clubs. « Si l’élève est en retard d’une minute, il est invité à rentrer chez lui. La discipline et la ponctualité sont les vertus principales de ce sport », précise Rémi Portal, responsable de la formation au sein de l’académie.
Faut que ça swingue
Quand le Golf Mogador est inauguré en 2009, le paysage de la vallée de Diabet change radicalement. La forêt, qui sert alors de lieu de pâturage, est redessinée par le golfeur et champion sud-africain Gary Player, qui intègre le parcours à son milieu naturel. Mais les habitants y voient une menace, certains pensent même que leur village va disparaître. « On ne fait pas dans le social, notre projet est sportif avant tout. Ici, c’est win win. On offre aux enfants la possibilité de s’entraîner 12 heures par semaine, chose qui n’existe même pas en Europe », lance d’emblée Benoit Willemart, le directeur de la Mogador Golf Academy et initiateur du programme. En 2012, il entre en contact avec le directeur de l’école du village de Diabet ainsi que d’autres écoles à Essaouira pour faire connaître le projet de l’académie et sélectionner 450 enfants qui seront soumis à des tests physiques, d’adresse naturelle, suivis d’entretiens individuels de personnalité. « Dès le départ, nous étions clairs avec les enfants : les résultats scolaires seront suivis de près et en cas d’échec à l’école, l’élève est systématiquement suspendu », précise Benoit Willemart. Résultat, l’académie accueille aujourd’hui 60 enfants âgés de 7 à 14 ans, qui s’entraînent 8 heures par semaine. Parmi eux, un groupe d’élite composé de 30 enfants s’entraîne 12 heures par semaine, y compris le samedi après-midi. « Après les premiers cours, tous les enfants de Diabet se sont mis à frapper sur des balles de golf avec n’importe quoi et à longueur de journée au point de casser plusieurs vitres. Tout le village est devenu mordu de golf », se souvient Benoit Willemart. Convaincue du potentiel du projet, la Fondation Lacoste a pris en charge la formation des enfants à hauteur de 240 000 DH par an.
L’herbe est plus verte à côté
Les enfants s’apprêtent à démarrer l’entraînement. Comme ce sont les vacances scolaires, ils ont plus de temps. Le programme du jour consiste pour le groupe d’élite à s’entraîner sur un parcours de neuf trous. Contrairement aux idées reçues, la pratique du golf n’est pas de tout repos. En effet, un parcours de 18 trous représente une distance de 6 kilomètres. En plus de la performance physique, les enfants doivent se plier aux « mœurs » strictes du golf comme le fait d’enlever sa casquette pour saluer ses amis, respecter ses adversaires et apprendre les vertus du respect de la nature. Pour les plus petits, ce sera un entraînement normal. Ils sont pris en charge par le responsable de la formation, Rémi Portal, et Kébir El Maslouhi, qui prépare son diplôme d’entraîneur. Agé de 32 ans, ce dernier a vu sa vie changer du jour au lendemain. Pêcheur d’algues rouges dans la région d’Essaouira, il répond à une offre d’emploi de la Mogador Golf Academy en 2011 pour un poste de caddie. « Mon frère, qui travaillait à l’hôtel, est venu me parler de cette annonce. Je n’avais jamais touché à un club de golf et je ne connaissais pas les règles de ce sport réservé aux riches. J’ai décidé de me lancer malgré tout », raconte-t-il. Sa dextérité et son sens de la discipline vont taper dans l’œil des formateurs qui décident de le coacher et le poussent à passer le diplôme d’entraîneur agréé par la Fédération royale marocaine de golf. Depuis, Kébir effectue des stages réguliers à l’Institut Moulay Rachid à Rabat, entièrement pris en charge par l’académie. Son rôle consiste à servir d’intermédiaire entre les enfants et les formateurs. « Je connais chaque enfant et sa famille puisque nous sommes issus du même village. Leurs parents me font confiance et je suis leurs performances à l’école », nous explique-t-il.
La green card
Pour la plupart issus de familles très modestes, les enfants et certains parents ont vu leur vie complètement changer depuis que les greens se sont invités dans leur environnement naturel. A commencer par les familles du village de Diabet, jusque-là connu seulement pour son modeste café où le guitariste Jimi Hendrix aurait séjourné durant les années 1960. Le golf est devenu le principal employeur du village et des alentours. En effet, l’hôtel et les 580 hectares de golf ont généré des dizaines d’emplois. Concernant les enfants, les heures d’entraînement et la discipline imposées par l’académie ont chamboulé leur quotidien. A commencer par l’école, où les professeurs attestent d’une amélioration du niveau scolaire et de l’assiduité. « Nous disposons d’une salle de cours où ils perfectionnent leur niveau de français tout en apprenant les notions théoriques du golf », précise Rémi Portal. Pour habituer ces enfants à l’esprit de compétition, la Fondation Lacoste les invite à des « clinics », ces rencontres où des champions marocains comme Fayssal Serghini ou Maha Haddioui viennent jouer et montrer leur savoir-faire. Pour les meilleurs, ils sont invités à un stage lors du trophée Hassan II à Agadir. « Pour un enfant de condition modeste, c’est un événement qui le marque à vie. Ces élèves, même s’ils sont pauvres, ont développé une fierté en s’imposant petit à petit dans un monde réservé comme partout aux nantis. Quand ils sont sur un terrain de golf, les différences sociales s’estompent. C’est la compétition et le respect qui priment », affirme Kébir El Maslouhi. Mais à terme, quel avenir attend ces enfants ? Aïcha, 12 ans, une des joueuses très prometteuses dont le père travaille comme ouvrier saisonnier, a une idée très claire de son avenir : « J’aimerais poursuivre une filière sport-études et bien travailler pour atteindre le top niveau », murmure-t-elle d’une voix timide. Benoit Willemart, de son côté, est très confiant : « Au pire des cas, ils poursuivront leurs études, et dans le meilleur des cas, ils seront de futurs champions, entraîneurs ou caddies. L’objectif est de leur donner les mêmes chances au départ et il importe à chacun d’eux de saisir sa chance ».
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer