El Jadida ? Une vrai tradition de foot, une vraie production de beaux joueurs au fil des ans mais aussi une vraie habitude de passer à côté des titres : trois fois finaliste malheureux de la coupe (1977, 1985, 1986), deux fois dauphin du champion (1976, 2009). Aucun titre depuis l’indépendance. Mais ça, c’était avant. Avant cette coupe du trône soulevée au nez du Raja en automne dernier. Ceux qui ont posé cette première ligne sur le palmarès doukkali ne s’appellent pas Baba, Amanallah ou Riyahi mais Gadoum, Saasaa et Karnass. Et ce n’est pas un accident. En championnat, le DHJ est toujours dans la course, et en coupe d’Afrique, les Jdidis sont tout simplement les derniers marocains encore concernés, à un tour seulement des phases de poules. Ça méritait une visite.
Vendredi matin, annexe du terrain El Abdi, El Jadida.
Les joueurs attaquent l’entraînement sous les yeux d’une quarantaine de supporters. Peu de sécurité, peu de contrôle, tous ceux qui le souhaitent peuvent se poser au bord du terrain, et regarder le groupe entamer son échauffement. Ça discute, ça rigole beaucoup. Ahmed Chagou, le capitaine, fait de grands sourires à tout le monde, le Gabonais Langoualama nous balance des vannes à chaque fois qu’il passe devant nous : « Vous êtes les journalistes ? C’est Canal Plus, c’est ça ?…» Sur le bord du terrain, Adil Saasaa, blessé, ne participe pas à l’entraînement, tout comme Soumah. Il suffit de leur demander comment ils expliquent les bons résultats de l’équipe pour voir surgir avec profusion les mots solidarité, ambition, changement de mentalité, esprit d’équipe. Le discours classique des équipes qui marchent. Moins classique, un nom est sur toutes les lèvres : Abdelhaq Benchikha. Confirmation chez Zouheir Laaroubi, le gardien de but, qui vient de terminer son petit tennis ballon avec ses remplaçants : « Oui, il nous a fait un véritable lavage de cerveau, tout vient de lui ». Inutile de faire le tour des joueurs, ils vous renverront tous vers leur coach. Abdelhaq Benchikha, donc, entraîneur algérien arrivé à El Jadida en été. Il trône au milieu du terrain, décontracté lui aussi. Mi-gourou, mi-grande gueule, il parle sans complexes : « Oui, je suis très proche des joueurs, j’ai eu la chance parce qu’ils sont très réceptifs. Pourtant, avant de signer, on m’avait montré le DVD d’une défaite à domicile 4 à 1 contre le Raja, c’était catastrophique, mais j’ai décidé de relever le défi… » Le bonhomme qui débarque est un entraîneur chevronné, qui a fait l’essentiel de sa carrière en Algérie et en Tunisie, une bête médiatique qui a marqué ses passages dans ces deux pays. Chez nous, il était connu pour avoir dirigé la sélection algérienne un soir de défaite 4/0 à Marrakech. Une claque qu’il avait assumée en démissionnant aussitôt. Il n’était pourtant en place que depuis une poignée de matchs… A El Jadida, il se pose aussitôt avec les joueurs. Des tête- à-tête ciblés avec les Hadraf, Saasaa, Chagou, Gadoum… tous sollicités par les grands clubs. « Je les ai convaincus de rester, il vaut mieux être titulaire ici que remplaçant à Casa, et puis il y a la CAN qui arrive, il faut qu’ils jouent, c’est important ». Résultat, personne ne quitte l’équipe. Mieux, on construit une extension au stade, on relifte le très vieillot El Abdi : un sauna, une salle de musculation et surtout un agrandissement des tribunes. Il faut être prêts pour recevoir le géant Al Ahly en coupe d’Afrique. Benchikha s’installe… Un projet à long terme, dans le pays où trois ans dans le même club font de vous un Alex Ferguson ? « Je suis bien ici, mais il faut me connaître. Je suis capable de claquer la porte si quelque chose ne me plaît pas. Oui, même au Barça, je claquerais la porte .» Les joueurs font des étirements. Il interrompt la discussion pour s’appuyer sur Karnass de tout son poids. Il revient et nous parle de ses joueurs. « On m’a proposé pas mal de joueurs, des gars trentenaires, un peu tricheurs, tu comprends ?… Qui savent économiser leurs efforts. C’est exactement ce que je ne veux pas. Regarde ce groupe-là, il a faim, il veut jouer, transpirer, tomber, gagner… » Le coach aime ses joueurs. On raconte qu’il a réglé des problèmes de couples, qu’il a interrompu ses vacances en Algérie pour les retrouver, qu’il leur martèle de ne penser qu’à jouer, endossant seul la responsabilité d’un résultat négatif… Il nous parle de ses deux recrues du Rachad Bernoussi, recrutées après un match amical où elles lui avaient tapé dans l’œil : Ayoub Nahnah et Youssef Aguerdoum. Il compare le dernier à Beckenbauer, explique qu’il sera international un jour, forcément. Le groupe a terminé son entraînement, il se dirige vers une séance de cryothérapie commandée par le coach. On croise Hadraf, qui se dirige vers son bain de glace avec le sourire. C’est l’enfant du club, il a joué dans toutes les équipes de jeunes du Difaâ. « J’avais des propositions de Guimaraes, d’autres clubs en deuxième division française et en Norvège, comme Hamdallah. C’est Benchikha qui m’a convaincu de rester. Je ne le regrette pas, je suis dans ma ville, près de mes parents, on va faire un truc ici…» Sortir Al Ahly et passer en phase de poules, après avoir soulevé une coupe du trône, oui, ça serait un truc… Tout le monde rentre dans les vestiaires, les gamins prennent des photos. Le DHJ, c’est une bande de jeunes hommes menés par un leader qui se décident à former une équipe, de mettre de côté leur égos, leurs problèmes de primes et de statut, leurs transferts et leurs salaires pour écrire un bout d’histoire ensemble, taquiner un peu leurs limites. Chez nous, une telle mobilisation ne dure jamais très longtemps, nos équipes ont des cycles de vie très courts. Le Difaâ, comme le Moghreb de Tétouan, inversera-t-il la tendance ?
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