Publication. Matrimoine amazigh

En attendant l’exposition « Femmes berbères du Maroc » de la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, un superbe ouvrage présente une large collection d’objets d’art et d’artisanat de femmes berbères.

La tizerzaï, cette fibule triangulaire typique que l’on retrouve sur de nombreux bijoux ou tissus, devenue l’emblème même de l’amazighité, nous la connaissons tous. Mais pas forcément ses différents emplois, procédés de fabrication, ni tous les savoir-faire constitutifs de la culture berbère. Des bijoux, des tatouages, des parures et des vêtements, c’est tout ce monde de matières, de symboliques et de coutumes que nous invite à découvrir, ou à mieux connaître, l’ouvrage Femmes berbères du Maroc, beau-livre de l’exposition du même nom, organisée par la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent. Cette dernière ne s’installera dans les murs de la Bibliothèque nationale de Rabat qu’au printemps 2015, après des passages à Paris et Bahreïn, bien que certaines pièces soient déjà visibles au Musée berbère de Marrakech. Si les clichés des pièces exposées, en particulier les pages centrales de l’ouvrage qui présentent des parures, raviront tout un chacun, les plus curieux pourront s’attarder sur les textes et légendes précises, mises au point par une équipe de chercheurs et spécialistes

Symboles, utilités et matériaux

Découvrir ces pièces, c’est d’abord pénétrer un monde de symboles. Les pendentifs en forme d’œufs  – « tagmout » – représentent la fertilité. De nombreux bijoux sont apotropaïques : conçus autour de chiffres ou agencés de manière précise, ils sont portés pour conjurer le mauvais sort. En plus du façonnage, les matériaux divers ont aussi des vertus. Ainsi de l’ambre, auquel on attribuait des vertus médicinales et préventives. Les femmes n’hésitaient donc pas à dépenser d’importantes sommes d’argent pour acheter ces produits importés. L’ambre venait de la lointaine Baltique et son pendant moins cher, le copal, venait des côtes d’Afrique de l’Ouest. Quelques bijoux peuvent aussi avoir une utilité. Un onéreux « tagmout » représente une épargne et peut être vendu en cas de besoin. Quant aux lourds bracelets du sud-est, dits « izbian n’iqerroin », leur forme en cornes d’animaux et leurs poids pouvaient les transformer en armes. Pareillement, certaines pièces de l’artisanat textile, même finement travaillés, peuvent devenir de véritables outils, à l’instar des « hanbel », pièces de tissu qui pouvaient être utilisées, tant comme bât de mulet ou pour ramasser le petit bois que comme couverture. Reste que leurs usages premiers sont l’apparat, la beauté et la séduction. Les nombreux pendeloques accrochés à une chaîne passant sur la poitrine peuvent, lorsque les femmes marchent, « créer une analogie suggestive avec leurs seins », peut-on lire dans l’ouvrage. Pensés pour accompagner et embellir les mouvements, les bijoux peuvent même créer des sonorités recherchées. Et d’une sous-région à une autre, du centre à l’ouest de l’Anti-Atlas, manières et dénominations diffèrent. Si les femmes zayanes aiment porter des « taounza », parures de tête ornées de « douros de Hassan », pièces de monnaie frappées en France pour le sultan Moulay Hassan Ier , celles de la région de Guelmim laissent pendre de fines tresses en crin de cheval en tour de crâne.

Des histoires liées

En filigrane se tissent l’histoire des femmes, l’histoire du Maroc, l’histoire de l’art et donne à lire ce que certains auteurs de l’ouvrage appellent joliment un « matrimoine » qui a évolué au fil du temps. Le départ des artisans juifs, l’adaptation à la demande touristique ou encore la possibilité d’agrémenter ses bijoux par des fantaisies façonnées en Chine ont transformé les bijoux et l’esthétique berbère. « Certaines formes artistiques pratiquées par les femmes, comme le tatouage, ont progressivement disparu, mais ont connu une nouvelle vie grâce aux peintres marocains contemporains », offre en exemple l’anthropologue Fatima Sadiqi. Quant à la tizerzaï, elle n’est pas perdue, loin s’en faut. Elle est toujours portée aujourd’hui, sous une forme plus contemporaine et accommodante, en pendentif ou en broche.  

Femmes berbères du Maroc, Artlys, 2014.

Rejoignez la communauté TelQuel
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous

Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer