Plusieurs jeunes se seraient fait tondre le crâne par les forces de l’ordre. Tandis que la société civile dénonce une dérive sécuritaire, la paranoïa continue à gagner du terrain parmi les citoyens.
Mardi 22 avril, le procureur du roi près la Cour d’appel de Casablanca a décidé d’ouvrir une enquête au sujet du suicide par pendaison de Ahmed, un jeune homme de 25 ans, suite à son arrestation par des éléments des forces de l’ordre à Sidi Battache, dans la province de Benslimane. En attendant les conclusions de l’enquête, le caïd de la région a momentanément été « rappelé » par le ministère de l’Intérieur.
Selon la section locale de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et les déclarations de la famille, ce suicide serait lié à des humiliations infligées par les agents des forces de l’ordre, qui lui auraient notamment rasé le crâne de force. « Au même moment à Meknès, et pour des raisons similaires, un jeune homme arrêté a aussi essayé de se donner la mort », nous assure la députée PAM Nabila Benomar.
« Ce n’est pas nouveau »
Depuis quelques jours, plusieurs jeunes coiffés à l’iroquoise –qu’on appelle aussi la banda – assurent avoir subi une tonte forcée. Leur tort : avoir une crête, coupe prisée par les jeunes se revendiquant du Tcharmil, mouvement à la lisière de la délinquance et de la street-life… « Certaines pratiques d’humiliation – comme tondre un jeune prévenu– ne sont pas nouvelles. A maintes époques, des militants les ont subies », se désole El Habib Belkouch, président du Centre d’études en droits humains et démocratie (CEDHD). Même son de cloche du côté de Nabila Benomar. « Tondre des jeunes, cela nous renvoie à une époque sombre du pays. Nous ne pouvons l’accepter », tonne celle qui a récemment posé une question au parlement au sujet des possibles dérapages dans la lutte contre la délinquance.
Il y a plusieurs semaines déjà, le ministère de l’Intérieur avait annoncé dans un communiqué qu’il répondrait à la médiatisation du phénomène Tcharmil pour rassurer les citoyens qui, du moins sur les réseaux sociaux, semblaient se laisser gagner par la paranoïa. Le dernier week-end de mars, quelque 550 jeunes ont été arrêtés et, depuis, les annonces d’arrestations se multiplient. El Habib Belkouch met en garde : « Une surmédiatisation du phénomène peut favoriser une ambiance lourde, délétère, jusque dans les rangs de l’institution sécuritaire ». Pour rappel, l’une des pages Facebook anti-Tcharmil, « Marche Contre L’insécurité Ambiante à Casa » a vite réuni plus de 21 000 membres. Sur d’autres, les commentaires vont bon train, allant parfois jusqu’à appeler à l’instauration de la loi du talion et autres châtiments corporels.
Le débat est nécessaire
Face à cela, El Habib Belkouch appelle à la mesure et à la réflexion. « La criminalité et la société changent, et les réponses doivent changer aussi », affirme-t-il, avant d’ajouter : « Je pense notamment que, aujourd’hui, les services de sécurité doivent impliquer d’autres acteurs : services sociaux, associations, élus, pour favoriser la prévention. Il faut peut-être imaginer des corps de police de proximité, de dialogue, non armés ».
« Dissuader au lieu de réprimer est toujours préférable, mais cela a un coût, notamment en termes de matériels, comme des caméras de surveillance », nous avoue, en off, un gradé de la police fraîchement retraité. Dans la polémique Tcharmil, Nabila Benomar voit un mal pour un bien : la lutte contre l’insécurité s’impose comme un vrai débat politique, qui inclut différents acteurs et points de vue. « Il n’est pas question de laisser se généraliser une forme ou une autre d’insécurité, et il n’est pas question de sacrifier les droits élémentaires pour cette sécurité », conclut la députée.
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