Industrie. Le plan surréaliste d’Elalamy

Six mois après sa nomination, Moulay Hafid Elalamy a voulu marquer le secteur de son empreinte avec un nouveau plan. Les objectifs fixés sont pour le moins surréalistes. Explications.

Moulay Hafid Elalamy a présenté la semaine dernière une nouvelle stratégie industrielle pour le Maroc. Baptisé « Plan d’émergence aux écosystèmes performants », il a pour date butoir l’année 2020. Il s’agit du troisième plan du genre en moins de neuf ans, ce qui revient à dire que le royaume change de stratégie tous les trois ans. Le précédent Pacte national pour l’émergence industrielle (PNEI) n’a pas encore atteint son échéance, à savoir 2015, mais aucune explication n’a été avancée par le ministre pour en justifier l’arrêt. Il faut dire que même en matière d’objectifs, le PNEI n’a pas donné entière satisfaction.

Par ailleurs, et contrairement aux plans précédents, Moulay Hafid Elalamy a préféré s’associer à des experts marocains et non à des cabinets internationaux. « Une démarche nouvelle pour nos plans sectoriels, qui nous ont habitués aux études de McKinsey », commente l’économiste Najib Akesbi. La vision volontariste du nouveau ministre traduit les objectifs très ambitieux de son plan.

23% du PIB, un rêve ?

Moulay hafid Elalamy compte faire passer la contribution de l’industrie dans le PIB national de 14 à 23% d’ici à 2020. Il est à noter que l’ensemble du secteur industriel y participe à hauteur de 29,6%, sauf que pour ce programme on ne parle que de l’industrie de transformation. « Cette branche du secteur secondaire a perdu depuis le début de la décennie environ 5 points de base de sa contribution au PIB », avance Najib Akesbi. En clair, il faut rattraper le retard avant de penser à atteindre les 23%. En se basant sur un taux de croissance annuelle moyenne de 4,2%, que le Maroc a enregistré durant les dernières années, la valeur ajoutée industrielle devrait passer de 124 milliards de dirhams actuellement à 272 milliards à l’échéance 2020. Ce qui signifie que le secteur devrait réaliser une progression de 119% sur les six années à venir, et 17% par an. Si le pays veut atteindre ce taux, il faudrait que notre économie avance à une vitesse supérieure à celle du secteur. « Le PIB industriel ne dépasse pas les 5% par an, ce qui est très insuffisant au regard des exigences du plan », éclaire Tarik El Malki, docteur en économie. D’autre part, sur la période 2008-2012, l’industrie n’a pu drainer que 20 milliards de dirhams. Le ministre a tablé sur ce taux pour inverser la balance commerciale, et le justifie par une étude basée sur un échantillon d’une trentaine de pays émergents. Sauf que, ce qu’il faudrait surtout analyser, c’est la composition du tissu industriel dans ces pays.

20 milliards, où iront-ils ?

Moulay Hafid Elalamy a aussi annoncé la création d’un Fonds de développement industriel (FDI), doté d’une enveloppe de 20 milliards de dirhams. Un somme colossale qui suscite beaucoup d’interrogations quant à son financement. D’après le ministre, il a déjà l’aval de son camarade de parti, Mohamed Boussaïd, argentier du royaume, afin d’alimenter ce fonds de 3 milliards de dirhams annuellement sur une période de sept ans. Mais pour l’année 2014, rien n’a été prévu dans la Loi de Finances. De ce fait, l’enveloppe ne sera étalée que sur six ans. De même, aucune explication n’a été fournie concernant la répartition et les allocations sur les différents sous-secteurs concernés par la stratégie. « Il ne faut pas rééditer l’échec des fonds dédiés à la mise à niveau des entreprises dans les années 1990, pour cela il faut mettre en place des critères stricts et les respecter à la lettre », estime Tarik El Malki. La nature des interventions futures de ce fonds n’a pas non plus été déterminée. En plus, le PNEI avait bénéficié d’une somme de 12,4 milliards de dirhams qui n’a pas encore été complètement consommée. Il y a aussi le Fonds Hassan II pour le développement industriel, capitalisé à hauteur de 3 milliards de dirhams… Question : Moulay Hafid Elalamy a-t-il réellement besoin de 20 milliards ? 

500 000 emplois, mission impossible ? 

Dans un contexte économique très mitigé, où l’économie nationale n’a pu produire en solde net durant les deux dernières années que 120 000 emplois, le ministre compte en produire 500 000 dans le secteur industriel d’ici à 2020. C’est-à-dire que le secteur accueillerait chaque année plus de 83 000 nouveaux employés (sur 6 ans). « Pour un domaine qui perd en moyenne environ 25 000 emplois par an, en créer 80 000 par an me paraît très ambitieux », sanctionne Najib Akesbi. Le ministre lui-même n’a pas manqué de souligner la faible tendance de création d’emplois dont souffre l’industrie. « Sur les dix dernières années, le secteur n’a pu créer que 75 000 emplois », affirme Moulay Hafid Elalamy. Par ailleurs, il s’est expliqué sur la provenance des 500 000 emplois, la moitié grâce aux Investissements directs étrangers (IDE) et le reste du tissu industriel local. Le ministre compte aussi sur la Chine, qui envisage d’externaliser 85 millions d’emplois à travers le monde sur les années à venir. « Je suis en train de négocier afin d’avoir au moins 1% », déclare Moulay Hafid Elalamy. Autrement dit, les investissements chinois permettraient la création de 850 000 emplois au Maroc. Reste à savoir si ces investissements concerneront l’industrie et, si oui, a-t-on les compétences adéquates ?

1000 hectares, à quoi bon ?

Durant sa présentation, le ministre a annoncé la mobilisation de 1000 hectares de foncier public en locatif. Une mesure saluée par les industriels. « La location d’infrastructures est en soi une idée assez intelligente, cela permettra de favoriser l’accès au foncier aux entreprises qui n’ont pas les moyens de devenir propriétaires de terrains au regard des prix pratiqués », approuve Tarik El Malki. On sait d’ores et déjà que 147 hectares sont à Casablanca, mais ce qu’on ignore, c’est l’emplacement des 853 autres. Malgré nos tentatives, aucune information n’a été communiquée par le ministère à ce sujet. Cet outil ressemble par ailleurs à celui instauré par Ahmed Reda Chami lors du PNEI. Il avait mobilisé 1900 hectares dans le cadre des Plateformes industrielles intégrées dites P2I, qui, selon le ministre actuel, était un couac «  vec un taux d’occupation qui ne dépasse pas les 20% ». En d’autres termes, il reste encore environ 1500 hectares non utilisés. Une superficie largement supérieure à celle dont a besoin la nouvelle stratégie.  

Mesures. Ecosystèmes, mode d’emploiParmi la batterie de mesures instaurées, Moulay Hafid Elalamy vise la création des écosystèmes. Le ministre voudrait que les PME opérant dans le même secteur se regroupent en GIE (groupements d’intérêts économiques), dans le but d’assembler leurs produits respectifs en amont et soumettre au client un produit fini prêt à être installé. Selon Elalamy, «  grâce aux écosystèmes, les PME amélioreront leurs valeurs ajoutées ainsi que leur compétitivité». Dans ce qu’on appelle les nouveaux métiers mondiaux du Maroc, tels l’aéronautique ou l’automobile, ce système est déjà en place depuis le PNEI. D’ailleurs, la nouvelle stratégie se veut accélératrice du secteur industriel, tout en capitalisant sur les avancées que le Maroc y a enregistrées. L’autre pilier de cette stratégie réside dans la compensation industrielle ou l’offset comme préfère l’appeler Elalamy. Cette pratique consiste à imposer aux sociétés fournisseurs du pays d’investir un taux calculé sur la base du montant global de la commande. Au Maroc, cela a été fait deux fois dans le cadre du PNEI avec Alstom et Thales : tous deux ont cumulé un investissement global d’un milliard de dollars. Moulay Hafid Elalamy estime que «  la compensation permettra au pays de renforcer la demande locale et, à terme, rééquilibrera la balance commerciale»[/encadre]
 

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